Dans son numéro de janvier, le mensuel CQFD nous explique qu’il faut « en finir avec une écologie sans ennemis ». En nous appuyant sur leur dossier, on peut faire la liste des ennemis de l’écologie, et il y en a 6 !
Au-delà des petits gestes
Il existe une version complaisante et dépolitisée de l’écologie. Selon ce discours, nous serions tous de gentils citoyens. Nous serions tous volontaires pour faire chacun notre part de l’effort nécessaire pour l’écologie. Et si chacun s’y met, le problème sera réglé. C’est bien sûr une fable.
Le cabinet Carbone 4 de Jean-Marc Jancovici a d’ailleurs chiffré l’impact de citoyens vertueux (cyclistes végétariens qui achètent en brocante). Leur empreinte ne serait diminuée que de 5 à 10 %. C’est déjà pas mal, mais c’est minoritaire. Aussi la logique du colibri, pour importante qu’elle soit, a une portée limitée. Ainsi que l’explique CQFD, l’écologie des petits gestes « ne sauvera pas le monde ».
Une écologie du rapport de force
On sait depuis longtemps qu’il existe une lutte des classes. L’intérêt des travailleurs et celui des propriétaires de l’usine sont opposés l’un à l’autre. Quand l’ouvrier veut un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail, le patron veut réduire les coûts pour augmenter son profit. Une part de conflit est inévitable.
C’est la même chose pour l’écologie. Il y a des intérêts opposés, irréconciliables. Certains tirent incontestablement un bénéfice direct de la destruction de la nature. La différence avec la lutte des classes, c’est que les ouvriers peuvent se mettre en grève et manifester, alors que la nature ne se défend pas toute seule. Il faut des militants pour vouloir la protéger et engager un rapport de force.
Alors, qui sont les ennemis de l’écologie ? Qui sont ceux qui ruinent la nature pour servir leurs intérêts ? Qui sont ceux contre lesquels le peuple défenseur de la nature doit se rebeller ? Dans le dossier du mensuel CQFD, nous en avons identifié 6.
Numéro 205, janvier 2022
CQFD est « un mensuel de critique et d’expérimentations sociales »
Ce mensuel peut être classé à gauche
Nous rappelons que Écologie & Démocratie est une association transpartisane ;
les personnes de droite soucieuses de démocratie et d’écologie y sont bienvenues.
1) Les entreprises
La plupart des grandes multinationales ont un modèle d’affaire incompatible avec l’écologie. Dans son livre « Criminels climatiques », Mickael Correia, longuement interviewé par CQFD, évoque 3 entreprises géantes qui illustrent bien le problème en matière de climat.
- Saudi Armaco, premier producteur mondial de pétrole (Arabie Saoudite)
- Gazprom, premier producteur mondial de gaz (Russie)
- China Energy, premier producteur mondial de charbon (Chine)
Il y a aussi des entreprises françaises. Le journal évoque Total et consacre une pleine page à Perenco, un autre entreprise pétrolière moins connue.
Ces entreprises défendent leurs intérêts. Or, leur intérêt est évidemment de continuer à vendre leurs énergies fossiles, et donc de continuer à détruire notre climat. De fait, elles consacrent une partie de leurs moyens à empêcher toute régulation de leur activité, sans parler de leur démantèlement. Pour cela, ces « criminels climatiques » usent des différents moyens à leur disposition : le lobbyisme, la corruption, l’écoblanchiment (greenwashing)…
Ce qui est vrai pour le climat est vrai pour toutes les pollutions. Souvent les entreprises, pour persévérer, préfèreront nuire plutôt que s’affaiblir. Les forêts, les rivières et les océans importent moins que la rentabilité et la création de valeur pour l’actionnaire.
« Oui, la planète est détruite. Mais pendant un bon moment nous avons créé beaucoup de valeur pour les actionnaires »
(Tom Toro)
2) Les banques et les détenteurs de capitaux
Les sociétés les plus polluantes ont besoin de capitaux. En effet, il faut de l’argent frais pour financer les mines, les centrales et les usines. C’est là qu’interviennent les banques.
Mickaël Correia cite l’américaine JP Morgan, qui « continue à fournir des milliards de dollars, chaque année, pour la prospection et la production de pétrole, de gaz et de charbon. »
Quant à la française BNP Paribas, elle est « championne des banques européennes climaticides », à force de financer les énergies fossiles.
3) L’Etat
L’Etat se fait ennemi de l’écologie lorsqu’il renonce à réguler les secteurs polluants ou à contrôler les capitaux. Soit il ne produit aucune loi et laisse faire, soit il applique une politique des petits pas, en multipliant les lois inoffensives et dilatoires, comme l’interdiction des emballages en plastique en 2040. Il peut même maintenir et accroître les subventions aux énergies fossiles et aux entreprises polluantes.
4) L’organisation sociale
Dans un autre article de ce dossier, la journaliste Aude Vidal nous explique que détruire la nature n’est pas dans la nature de l’humanité. Certains peuples non-développés ou indigènes (Aude Vidal cite les Orang Asli) peuvent le démontrer. Au contraire, « nous sommes face à un problème de culture et d’organisation sociale. »
Aude Vidal regrette que l’on puisse attribuer trop rapidement la responsabilité de la crise écologique à une nature humaine supposée problématique. Il faudrait alors contredire ceux qui affirment que c’est notre nature profonde que de détruire notre environnement. Aude Vidal cite l’historien Jared Diamond, l’astrophysicien Aurélien Barrau ou l’auteur du Bug humain Sébastien Bohler.
Elle invite plutôt à s’interroger sur « un imaginaire politique qui tient à l’exploitation des classes laborieuses, des femmes et des colonies » et à regarder la responsabilité du côté des entreprises « en régime d’avidité généralisée ». Cette « avidité généralisée » n’étant aucunement inscrite dans notre nature d’être humain, mais organisée autour d’un capitalisme prédateur.
D’ailleurs, lorsque le président américain déclare que « le mode de vie américain n’est pas négociable », est-ce dans l’intérêt du peuple américain ou pour préserver les intérêts des grandes entreprises américaines ?
Des organisations internationales comme l’Union européenne ou l’OMC ne sont pas citées dans le dossier de CQFD, mais nous pensons qu’elles auraient pu l’être. En effet, ce sont bien des structures sociales qui organisent un modèle économique destructeur dans l’intérêt des grands propriétaires plutôt que dans l’intérêt général.
5) Les négateurs
Le dossier de CQFD identifie des négateurs à Valeurs Actuelles, « l’hebdomadaire préféré des réacs fascisants » et dans des partis politiques de l’extrême-droite européennes.
Pour Valeurs Actuelles, une « minorité d’occidentaux riches, dépressifs et hargneux crient à la catastrophe sans aucune base concrète ». Alors même que la science nous dit sans ambiguïté que la crise écologique est déjà largement avancée. On a par exemple franchi 5 limites planétaires sur 9 identifiées.
Quant aux partis d’extrême-droite en Europe, leur positionnement relève aussi du négationnisme climatique. Pour le UKIP anglais de Nigel Farage, on entre dans une période de refroidissement. Pour l’AFD, parti de l’extrême-droite allemande qui avait déclaré que « le dioxyde de carbone n’est pas un polluant », la surpopulation est un des problèmes les plus importants. Une façon de reporter le problème sur un ailleurs africain. En France, le Rassemblement National utilise l’écologie comme un argument alibi pour tenir un discours de « nationalisme vert » glorifiant la frontière.
En bref, nous ne devons pas croire que les climatosceptiques sont vaincus. Il existe encore des groupes influents pour qui la crise écologique est une fausse nouvelle.
6) L’armée
Enfin, le mensuel CQFD consacre le dernier article de son dossier à l’armée. En effet, le kérosène des avions de chasse émet aussi du CO2. La ministre de la Défense Florence Parly n’a-t-elle pas déclaré que « les armées ont l’empreinte environnementale la plus importante de l’Etat ? » Mais comment réduire les émissions de l’armée ? Aucune démarche sérieuse ne semble à l’ordre du jour.
Soldats français à vélo, 1914, image Wikipedia
Aussi, puisque la guerre est une des activités les plus polluantes qui soit, il paraît évident que le maintien de la paix doit être un objectif central pour l’écologie.