Ceci est une note issue d’un article d’Aurélien Bernier paru dans le Monde Diplomatique de mai 2024.
Comment le droit européen a écrasé le droit français
Dans une première partie, Aurélien Bernier nous explique comment s’est construite la primauté du droit européen. La France a trois cours suprêmes : le Conseil d’Etat (domaine administratif), la Cour de cassation (domaine judiciaire) et le Conseil constitutionnel. Dans les années 60, aucune des trois « ne s’aventurait à contrarier l’approche gaullienne de la souveraineté nationale ». La loi française primait.
Mais dès les années 60, des européistes comme Adolphe Touffait enseignèrent à l’université le droit européen, préparant une vague de hauts-fonctionnaires disposés à sa primauté. En 1975, la Cour de cassation se retourna la première (arrêt Jacques Vabre). En 1989, ce fut le tour du Conseil d’Etat (arrêt Nicolo). Cependant la Constitution française primait toujours sur le droit européen. Mais en 1992, avec le traité de Maastricht, la France inscrivit dans la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences. »
A partir de là, la dimension sociale de la Constitution fut piétinée. Il ne fut plus fait obstacle à la libéralisation voulue à Bruxelles. Le piège européen s’était refermé sur la France.
Le droit européen, piège démocratique
Aurélien Bernier fait l’hypothèse de l’arrivée au pouvoir en France d’un mouvement politique souhaitant déroger au droit européen. En particulier il suppose l’élection d’une gauche écologique et sociale. Cependant, le raisonnement marche aussi pour une force de droite ou une coalition technique. Aurélien Bernier a interrogé des juristes ainsi que deux membres du Conseil d’Etat souhaitant rester anonymes. Les avis convergent. Dans un premier temps, le gouvernement pourrait passer outre l’avis du Conseil d’Etat (avis consultatif), et le Conseil constitutionnel, se contentant probablement d’étudier la constitutionnalité, ne devrait pas s’opposer.
Mais très rapidement, des personnes ou des entreprises qui se trouveraient lésées attaquées en référé-suspension les mesures réglementaires d’application (décrets, arrêtés, circulaires). Et là, dans des délais courts, le juge des référés, le juge administratif et le Conseil d’Etat suspendraient tout et annuleraient tout. Le passage en force du gouvernement serait horriblement difficile et dangereux sur le plan de la démocratie et de l’état de droit. Avec la perspective évidente d’une crise européenne.
Une solution : la Constitution
Aurélien Bernier explore une solution : la réforme de la Constitution. Par exemple, inscrire dans la Constitution le principe des services publics. C’est une proposition qui a été faite par Marie-Françoise Bechtel, du MRC. Ou intégrer d’autres « exceptions nationales ». Alors « l’identité constitutionnelle » serait mieux définie, et le Conseil constitutionnel ferait primer ces éléments sur le droit européen. En effet, la Constitution est encore le sommet de la hiérarchie des normes !
On peut imaginer d’autres variantes de cette idée. Le peuple français, via ses représentants, pourrait écrire dans la Constitution le principe de la loi-écran, plus forte que le droit européen. Au moins pour une série de domaines. On pourrait aussi inscrire la primauté des décisions prises par référendum. Alors « le verrou juridique national aurait sauté, et le vrai bras de fer avec l’Union s’engagerait ».