On savait que les activités industrielles et agro-industrielles enfoncent déjà 4 limites planétaires. En effet, elles dérèglent le climat de notre seule planète habitable, détruisent la biodiversité, dégradent les sols et perturbent le cycle de la potasse et de l’azote. Pour la première fois, des scientifiques ont quantifié une nouvelle limite planétaire, et le résultat est dramatique.
Qu’est-ce qu’une limite planétaire ?
L’humanité habite la Terre et exerce sur elle des pressions, en particulier par la puissance de ses industries et l’étendue de ses surfaces agricoles. En dépassant certaines limites, ces pressions perturbent les équilibres écologiques, provoquent des basculements vers un état dégradé et augmentent le risque d’effondrement écologique. L’exemple le plus connu est le réchauffement climatique. En dégageant d’importantes quantités de CO2 et de méthane malgré les alertes scientifiques depuis plusieurs décennies, les industries fossiles déstabilisent le climat.
Selon les scientifiques, il existe 9 limites planétaires. Accrochez-vous, ça fait froid dans le dos.
1/9 : Couche d’ozone
Les industries du froid et les bombes aérosol utilisaient beaucoup des gaz nouveaux, les CFC. Ces gaz CFC avaient des substituts moins nocifs. L’industrie a pu réduire les émissions de CFC à un niveau modéré depuis les années 90 et le protocole de Montréal. Cette régulation a stabilisé le fameux « trou dans la couche d’ozone ».
2/9 : Réchauffement climatique
Le réchauffement climatique n’est pas maîtrisé. L’humanité émet bien trop de carbone, notamment en brûlant le pétrole, le gaz, le charbon.
3/9 : Acidification des océans
Les émissions de carbone sont à l’origine du réchauffement climatique, mais elles acidifient aussi les océans. Le pH a baissé de 11 points entre l’ère préindustrielle et les années 90 et baisse de plus en plus vite. Ceci affecte la vie marine (organismes calcifiés, plancton). Le phénomène est irréversible pour au moins plusieurs dizaines de milliers d’années. La limite planétaire est proche mais pas dépassée.
4/9 : Cycles azote et phosphore
Non maîtrisé : l’agriculture intensive consomme trop d’azote et de phosphore. Les engrais azotés polluent les nappes phréatiques, étouffent les écosystèmes aquatiques et dégagent un gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote. La limite planétaire de l’azote est largement dépassée. Le phosphore, lui, est miné. Il en reste pour quelques décennies. Le phosphore stimule la croissance des plantes, mais 90 % est perdu dans les milieux aquatiques et les prive d’oxygène (zones mortes). Cette limite planétaire est dépassée.
5/9 : Eau douce
Les captations d’eau douce (agriculture, industrie) et la dégradation des couverts végétaux (dont déforestation) perturbent le cycle de l’eau. Cela assèche les bassins versants et modifie les climats locaux. La limite planétaire n’est pas franchie, malgré d’importants dépassements régionaux.
6/9 : Abondance ou extinction des espèces
La biodiversité est en péril, principalement par suppression des lieux de vie et surpêche. Cette limite est largement franchie : nous sommes à l’aube de la sixième extinction. Préserver les habitats naturels et sauvages est urgent.
7/9 : Changement d’usage des sols
L’agriculture, et en particulier l’agriculture commerciale, conduit à la déforestation, notamment dans les régions tropicales (plusieurs millions d’hectares par an). Malgré l’existence d’agricultures moins nocives (polyculture et agro-foresterie) cette limite est dépassée. Par ailleurs la qualité des sols agricoles est dégradée.
8/9 : Aérosols
C’est la pollution aux particules fines ou très fines, qui s’ajoute aux poussières de sable venues des déserts et aux micro-cendres volcaniques. Les particules viennent des diverses combustions (bois de cheminée, moteur de voiture, industries). Elles réduisent notre espérance de vie d’environ 2 ans et ont une influence sur le climat (refroidissement global).
9/9 : Pollution chimique (entités nouvelles)
Les scientifiques n’avaient pas vraiment quantifié cette limite jusqu’à aujourd’hui.
Cette nouvelle limite planétaire franchie : la pollution chimique
La pollution plastique et l’invention de molécules nouvelles par les industries pétrochimiques n’est pas une nouveauté. Pourtant, c’est bien cette limite, étudiée sous le nom « d’entités nouvelles », que l’on doit désormais considérer comme dépassée.
Ces substances de synthèse incluent le glyphosate, les nanoparticules, les microplastiques, etc. Il y aurait 350 000 produits chimiques différents sur le marché. L’Union européenne répertorie 150 000 substances, dont seulement 2 % font l’objet d’une évaluation partielle. Il y a une grande variété de molécules, et une grande variété de pollutions ou d’effets indésirables.
Polypropylène, polyéthylène, cyanurotriamine et bisphénol A sur la plage
Voici un extrait du résumé de l’article scientifique :
« La production et les rejets annuels augmentent à un rythme qui dépasse la capacité mondiale d’évaluation et de surveillance. Des entités qui sont nouvelles au sens géologique pourraient menacer l’intégrité des processus du système terrestre. La pollution plastique est un aspect particulier très préoccupant. Notre conclusion est que l’humanité opère actuellement en dehors des limites planétaires établies pour plusieurs variables de contrôle. Nous recommandons de réduire la production et les rejets de nouvelles entités. »
En clair, l’abondance de substances artificielles nouvelles constitue une grande réserve de menaces potentielles. En particulier, on s’expose à d’importants risques si ces particules présentent simultanément les trois caractéristiques suivantes :
- avoir pour effet d’abîmer un processus vital
- que les scientifiques n’identifient cet effet qu’après qu’il aura atteint une dimension mondiale
- que cet effet ne soit pas réversible.
Peut-être faites-vous un parallèle avec l’amiante. Les industriels en ont longtemps fait la publicité, puis les pouvoirs publics l’ont interdit, mais il y en a encore dans un grand nombre de maisons et nos ouvriers en meurent encore. D’autres scandales touchant l’homme ou la nature pourraient être en préparation.
Conclusion
Les journaux ne vous en parleront malheureusement pas assez. Pourtant, ce sujet est d’une immense importance. Mais il n’attire pas l’attention des grandes rédactions.
Faire face à ces limites est un devoir moral. Premièrement, nous devons renoncer aux futurs obsolètes. Ensuite, nous devons réduire la production, trouver des alternatives écologiques, changer de modèle agricole et imposer des règles dures aux industriels et aux grands détenteurs de capitaux. Nous devons bien sûr démanteler les industries les plus polluantes.
Autrement dit, il s’agit de réintégrer l’économie dans les limites de la nature.
Si nous ne sommes pas sérieux face à ces enjeux, si nous laissons faire les forces de l’argent et de la continuité, alors notre humanité, en seulement deux ou trois siècles, n’aura pas su empêcher la brutale destruction de ce que notre planète a de plus précieux.
Pour aller plus loin :
Les limites planétaires, de Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, La Découverte, 10 €
L’article scientifique à l’origine de cette publication : Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities
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