Pierre Rabhi est mort le 4 décembre dernier.
Pierre Rabhi était un paysan qui aimait philosopher. Il avait lu Socrate et Gandhi. Autodidacte, il prenait du recul sur les grandes questions du temps et savait penser à rebours de la société. Qu’on l’aime ou non, il a marqué le courant écologiste en France.
Fuir le productivisme
Né en 1938 dans une oasis du sud algérien, d’un père forgeron et d’une mère qu’il n’a pas connue, Pierre Rabhi a été élevé par des parents français qui étaient en Algérie pour organiser l’exploitation du charbon. Il a ainsi grandi tiraillé entre l’islam et la chrétienté. Tiraillé, aussi, entre la frugalité algérienne de son père et la croissance à deux chiffres de la France des Trente Glorieuses de ses parents adoptifs.
D’abord ouvrier à Paris, effaré par le productivisme et le mépris social, Pierre Rabhi s’est vite installé en Ardèche, en 1960, avec sa femme Michèle. A contre-courant : à cette époque nombre de paysans allaient en ville pour devenir ouvrier, employé ou fonctionnaire. En effet, « Ils quittent un a un le pays », chantait Jean Ferrat. Quand Pierre Rabhi installe sa ferme sur son plateau sec et rocailleux, il n’y a ni l’eau courante, ni l’électricité, ni le téléphone. Dans des livres, il découvre des techniques agricoles alternatives. Il essaie de ne pas utiliser de produits chimiques, il élève des chèvres. Il développe à tâtons son agroécologie qu’il défendra toute sa vie, prend des stagiaires.
Plus tard, Pierre Rabhi a parcouru le monde. Son parcours très riche l’a amené au Sahel, au Burkina Faso, aux côtés de Thomas Sankara. Avec Cyril Dion, il a fondé le mouvement des Colibris. D’ailleurs, ses échanges sur la démocratie avec Cyril Dion sont d’une certaine façon à l’origine de la Convention citoyenne sur le climat. Malheureusement, le président Macron et ses équipes ont soigneusement détruit cette très belle initiative.
Vers la sobriété heureuse
Pierre Rabhi a fait l’éloge de la pauvreté et de la « sobriété heureuse ». Il a vu le consumérisme comme une idéologie obsolète de l’accumulation à tout prix. En pointant le côté sombre de la croissance matérielle et de sa religion, nous a invité à réviser notre jugement sur le progrès technique et la modernité. De plus, Pierre Rabhi nous a rappelé que l’humain n’est qu’un maillon du cycle du vivant, et que notre agriculture doit s’inscrire aussi dans ce cycle.
Notre société de consommation n’a-t-elle pas, plus que jamais, besoin de ces rappels ? Ne devons-nous pas chercher une sorte de simplicité volontaire collective, pour échapper à la crise écologique ?
Merci Pierre Rabhi
Ses idées n’étaient pas consensuelles. Certains lui reprochent d’avoir été hostile à la procréation médicalement assistée. D’avoir été écologiste sans être de gauche. D’avoir défendu une agroécologie trop peu rationnelle, en parlant de « monde vibratoire ». Ou encore d’avoir été trop peu politisé. A-t-il gagné trop d’argent avec ses livres ? A-t-il trop utilisé de stagiaires ? Défendait-il trop les solutions individuelles ? Nous pouvons partager certains de ces reproches, mais ce n’est pas le moment. Ainsi que l’écrivent ses amis dans une tribune : « Pierre était un homme comme les autres, avec ses défauts, ses qualités, ses contradictions, son engagement, ses limites. Mais il était notre ami (…) un ami fidèle et généreux, qui a mis sa vie au service de la défense du monde vivant ».
De plus, Pierre Rabhi a aussi tenu, des années durant, un discours inspirant. Combien de fermes écologiques n’auraient jamais vu le jour sans l’influence de Pierre Rabhi ? N’est-ce pas là un formidable accomplissement ?
« Y a-t-il une vie avant la mort ? »
aimait-il demander malicieusement
Pierre Rabhi a eu une vie bien remplie, il a eu 5 enfants et il est mort à 83 ans. Pierre Rabhi n’était pas parfait. Cependant nous le remercions d’avoir semé tant d’espoirs et planté tant de graines de possibles.
Crédit photo : Fanny Dion