Ghislain est ingénieur. Il fait partie des membres fondateurs de notre association. Alors que l’euro a 20 ans, il publie « L’euro, une monnaie sacrée » (Amazon, 16,87 €).
1) Bonjour Ghislain ! Dans ton livre, tu compares notre monnaie, l’euro, à une divinité. Pourquoi ?
Dans les années 60, Robert Mundell a développé la théorie des zones monétaires optimales. Ces travaux, qui ont été récompensés par un prix Nobel d’économie en 1999, définissent les conditions pour qu’une monnaie utilisée par plusieurs pays puisse fonctionner. J’ai pris les paramètres économiques de la zone euro pour vérifier s’ils respectent cette théorie.
Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances portées en 1999, à la création de l’euro. Mon essai met en évidence les vices de conception de cette monnaie et les répercussions sur les citoyens.
L’euro est avant tout un projet politique et non économique. C’est là que le bât blesse. Les dirigeants politiques ont bafoué les principes d’une bonne monnaie au motif de la croyance « ensemble-nous-sommes-plus-forts ». Ce dogme plonge mécaniquement la France dans un cercle vicieux appelé « trappe à dette » : la croissance est insuffisante pour rembourser la dette publique. Alors, pour lutter contre l’endettement et sauver l’euro, des parlementaires et des cercles de réflexion proches du pouvoir proposent de façon plus ou moins cachée la fin de la propriété privée et multiplient les politiques d’austérité. La monnaie n’est plus au service du citoyen, c’est le citoyen qui est au service de la monnaie ! D’où ma comparaison avec le veau d’or.
2) Tu n’es pas économiste de formation. Qu’est-ce qui t’a le plus surpris, dans tes recherches ?
C’est vrai, je ne suis pas économiste. Je suis ingénieur, avec des compétences en analyse de données. J’ai essayé d’être rationnel et objectif dans mes recherches, comme le font les ingénieurs.
Parmi les grandes surprises, il y a le pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997. Ce texte européen interdit à un état d’avoir un déficit supérieur à 3 % du PIB et le ratio dette publique ne doit pas dépasser 60 % du PIB. Lors de l’introduction de l’euro, la dette publique italienne représentait déjà 113% de son PIB alors que celle du Luxembourg ne représentait que 8 % de son PIB. Cette énorme différence aurait pu être en partie compensée par des transferts entre les pays. Mais les pays du Nord ont refusé, pour des raisons légitimes que j’explique dans le livre. Ainsi, les dirigeants politiques, en acceptant l’Italie dans la zone euro, la condamnaient automatiquement aux politiques d’austérité !
Cela signifie que la zone euro était dès sa naissance trop hétérogène pour fonctionner de façon optimale selon la définition de Robert Mundell.
3) Quels sont les principaux dysfonctionnements de l’euro ?
Il n’y a pas de ministre européen des finances. Il n’y a personne pour aider un état membre en crise. Lors de la crise de 2012, la Grèce n’a pas reçu l’aide nécessaire des autres pays de l’UE. En France, un picard accepte qu’une partie de ses impôts soit reversée à un auvergnat et réciproquement, car nous sommes une nation et qu’il y a une solidarité nationale. Mais ni les Français ni les Allemands n’acceptent de payer pour les grecs, car il n’y a pas ce sentiment d’appartenance. C’est une erreur fondamentale des créateurs de l’euro. Ils ont confondu civilisation et nation !
Un autre problème est d’avoir mis des taux de change fixes entre les pays, établis une fois pour toute lors de la création de l’euro. Rappelez-vous : 1 euro égale 6,55977 francs ! Pour les Allemands 1 euro égale 1,95583 deutschemarks. Ces taux de change étaient corrects à cette époque. Mais en 20 ans, la santé économique des pays a changé ! Que ce soit en terme de croissance, de taux de chômage, de dette publique ou de balance commerciale. Les valeurs fixées au départ sont caduques ! Mais elles sont toujours utilisées. Plusieurs état, dont la France, souffrent d’une monnaie qui n’a plus une bonne valeur pour leur économie.
Enfin, les états empruntent à des taux trop bas. En simplifiant, des états de la zone euro empruntent à un niveau proche du taux directeur allemand, même s’il leur sera plus difficile de rembourser. L’euro fausse les prix de marché et de la monnaie, ils ne représentent plus l’état de santé économique des pays.
Cela peut vous sembler abstrait mais cela vous impacte directement.
C’est-à-dire ?
Vos produits d’épargne (comme votre assurance-vie) ne rémunèrent plus le risque pris en prêtant à des pays qui auront du mal à rembourser. Du coup, il y a une loi dite « SAPIN2 » qui permet de confisquer une partie de votre épargne en cas de nécessité !
L’euro peut engendrer des faillites bancaires et donc une disparition pure et simple des avoirs des comptes courants des Français.
Enfin, l’euro a déconnecté les prix de l’immobilier et des actifs financiers de l’économie réelle. Ceux qui veulent se loger près de Paris en savent quelque chose !
« L’euro, une monnaie sacrée ». Ghislain Tissot, éditions Amazon, 16,87 €
4) Selon toi, quel est l’avenir de l’euro ?
Je ne vois aucune volonté politique de réformer l’euro en profondeur. Celui qui déciderait de la fin de l’euro serait le fossoyeur d’un rêve politique. Notre monnaie va donc continuer à vivre avec ses vices de conception. J’espère me tromper, mais si l’euro reste dans sa forme actuelle, la situation de la France va s’aggraver, quel que soit le prochain président de la République. Et les économies européennes vont diverger de crise en crise… Cela va accélérer l’endettement des états et appauvrir les classes moyennes. Les manifestations telles que les « bonnets rouges » ou les « gilets jaunes » vont s’intensifier dans le futur.
Il existe pourtant des alternatives :
- On pourrait mettre en place un panier de monnaies dont la fluctuation oscillerait entre des valeurs préalablement définies et régulièrement actualisées.
- On pourrait créer un euro pour les pays du Nord et un euro pour les pays du Sud.
- La France pourrait sortir unilatéralement de la zone euro. Cela mettrait probablement fin à cette union monétaire. Chaque pays de la zone euro utiliserait à nouveau sa propre monnaie nationale.
5) Qu’est-ce que les Français devraient faire selon toi ?
Je les invite à lire mon livre ! Ou d’autres livres sur la monnaie. En effet, les enjeux que l’on vient de décrire méritent une prise de conscience collective. En maîtrisant les questions monétaires, le lecteur pourra juger si les politiciens peuvent apporter des réponses concrètes à la problématique de l’euro.
Et puisque l’euro est un problème pour la France, j’encourage toutes les initiatives qui pourraient aboutir à un referendum sur la sortie de l’euro, ou au moins à un débat.
Merci Ghislain !
« L’euro, une monnaie sacrée ». Ghislain Tissot, éditions Amazon, 16,87 €
Pour aller plus loin :
Le dossier de Génération Frexit sur l’euro qui rassemble les analyses de Vincent Brousseau, ancien économiste de la Banque centrale européenne et expert de l’euro