Frédéric Viale est militant altermondialiste. Il a participé à créer l’association ATTAC et est membre des Constituants. Il est opposé au libre-échange et à l’organisation qui en fait la promotion la plus acharnée : l’Union européenne. Frédéric Viale a écrit plusieurs livres parmi lesquels le Manifeste contre les accords transatlantiques. Il ne se reconnaît pas dans l’écologie portée par Yannick Jadot et le fait savoir dans ce texte critique.
Yannick Jadot, le Canada dry de l’écologie
par Frédéric Viale
Janvier 2022
« Canada dry a la couleur de l’alcool,
son nom sonne comme un nom d’alcool,
sa bouteille ressemble aux bouteilles d’alcool,
mais ce n’est pas de l’alcool »
Voilà bien une allusion que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître : le Canada dry, ce soda qui a le goût de l’alcool, l’apparence de l’alcool, le nom de l’alcool mais… qui n’est pas de l’alcool. Jadot a toute apparence et la rhétorique écologique mais il n’a que cela, la rhétorique et l’apparence. Pour la mise en œuvre, on repassera.
De prime abord, on pourrait s’étonner que la décroissance ne tienne aucune place dans son programme, alors que logiquement l’écologie devrait aussi passer par une remise en cause d’un modèle sociétal, culturel et économique de production et de distribution d’objets inutiles et polluants. On pourrait se consoler en se disant que le choix de ne pas en parler correspondrait à la volonté de rassembler le plus largement possible : dans un contexte de crise sociale qui voit l’exclusion d’une part toujours plus importante de personnes de la consommation, appeler à la frugalité risquerait de ne pas être compris. Mais on doit se poser aussi la question de savoir si cette absence, étonnante pour un candidat écologique, ne tiendrait pas au fait que le programme qu’il défend n’est pas réellement un programme de remise en cause du système qu’il prétend attaquer.
Jadot refait le même coup
Car cette absence n’est qu’un signal. Elle est la conséquence logique du fait que Yannick Jadot porte un programme qui ne pourra rien changer car c’est un programme eurobéat. Il trouve dans l’Union européenne une panacée, dans la décentralisation une solution et il entend assez largement se débarrasser d’un acteur qui lui déplaît souverainement : l’État. Hélas, la réalité est rude : promouvoir l’Union européenne réellement existante c’est se condamner à promouvoir ce qu’elle porte dans ses gènes, le néolibéralisme, le même néolibéralisme marchand et financier qui alimente la machine à saccager la planète. Se refuser à considérer que l’État pourrait être l’instrument de la nécessaire transition écologique, c’est se condamner à l’impuissance. En somme, tout comme les socialistes en leur temps, Yannick Jadot prétend combattre les conséquences des causes qu’il chérit.
Et hop ! L’Europe sera écologique !
Et le lapin sort du chapeau. Les socialistes nous font le même coup depuis… 42 ans. Oui, oui.
Souvenons-nous ensemble : « Et maintenant, en route vers l’Europe sociale », cela date déjà de 1979 et est répété en boucle à chaque élection. Résultat des courses : rien.
Jadot refait le même coup, mais avec l’Europe écologique.
Un monde marchandisé
Il commence par un premier tour de passe-passe en confondant l’Union européenne telle qu’elle est avec l’Europe, sous-entendu avec le projet européen. Ce projet, il est beau, il est grand, il est merveilleux, celui de la rencontre des peuples et des cultures, de la paix, de la prospérité. La réalité est tout autre : l’Union européenne inscrit dans le marbre de ses Traités l’interdiction de contrôler les mouvements de capitaux, place la concurrence au-dessus de toute autre norme et la libéralisation du marché interne et du marché international comme horizon et comme principe de fonctionnement.
En somme, l’Union européenne use des moyens de l’économie classique, ceux du libre-échange, aux fins de promouvoir un monde marchandisé, où seuls les besoins et exigences des entreprises transnationales et des marchés financiers sont pris en compte. Or, ni le domaine de la marchandise ni celui de la finance n’ont de limite. Marx écrivait déjà que le détenteur de capitaux (le « capitaliste ») use de la nature comme d’une ressource infinie et gratuite.
« Sans changer les traités existants »
Dans un tel contexte, que propose le candidat « écologique » ? « Renforcer l’Europe ».
C’est-à-dire renforcer un des instruments les plus efficaces, les plus performants pour promouvoir un capitalisme dévastateur de l’environnement et de la biodiversité, un capitalisme qui intensifie le commerce international, qui multiplie les navires porte-containers hyper polluants trimbalant d’un bout à l’autre du monde des tongs, des voitures, des ordinateurs, en somme un capitalisme où les entreprises transnationales ont installé sur le monde des chaînes de production et de valeur de plus en plus longues, grâce à quoi la fabrication du moindre objet nécessite des dizaines d’opérations réalisées tout au long de milliers de kilomètres. L’Union européenne, mettant concrètement en place des accords de libre-échange y contribue fortement, tout aussi bien lorsqu’elle libéralise toujours davantage et en profondeur le marché européen lui-même.
Pourtant, Jadot entend « dénoncer les accords de libre-échange ». Cette contradiction énorme n’est qu’apparente car finalement, le programme d’EELV ne dit pas comment réellement il entend et renforcer l’Europe, et dénoncer les accords de libre-échange qui en sont l’expression chimiquement pure. Ou plutôt, il le dit de sorte que ce qu’il propose ne trouvera en réalité aucun débouché. Il est question de mettre en place une « convention européenne » pour « faire évoluer » le projet européen. Mais attention, « sans changer les traités existants ».
Yannick Jadot 2022, site de campagne
En gros, il affirme qu’il va tout changer mais écrit noir sur blanc que le cadre restera sans changement. Vous y comprenez quelque chose ? On dirait le sketch de la coiffeuse de Muriel Robin : « on coupe, on coupe, mais on garde toute la longueur. »
On pourrait croire à une simple contradiction : c’est beaucoup plus que cela, c’est une aporie.
Vous voyez le Minotaure qui tourne en rond dans son labyrinthe la bave aux lèvres et le naseau fumant ? C’est ça une aporie, une impossibilité de sortir de son piège, une contradiction insoluble par un raisonnement.
Un acteur fait défaut : l’Etat
Car EELV est piégée : pour une foule de raisons qui tient essentiellement à l’histoire de sa création, l’État est, pour ce mouvement, l’abomination de la désolation. L’État c’est les matraquages des valeureux qui se battent contre les centrales, contre les grands projets inutiles, imposés, absurdes et polluants – sans parler du militarisme portant des pratiques et des valeurs assez détestables. Comment leur donner tort ? L’État c’est cela aussi et pire encore.
Mais comment conduire une transition énergétique dans le monde tel qu’il est ?
Yannick Jadot propose des solutions : en passer par les acteurs « de terrain », « entrepreneurs », « territoires », « société civile », « tissu associatif », « citoyennes et citoyens »… la liste est longue des acteurs sur lesquels le candidat compte s’appuyer pour mener à bien la transition écologique.
Un seul fait défaut : l’État.
Or, soit la question de la lutte contre le chaos climatique est cruciale, tout comme l’est le combat pour une transition énergétique, un nouveau mode de production décarboné et le combat contre l’effondrement de la diversité biologique, et alors il faut qu’une autorité ait les moyens réels d’imposer certains choix sur un territoire avec une planification écologique aux effets concrets – soit on considère que l’écologie, ça commence à bien faire et on laisse les acteurs s’arranger entre eux et cuire leur petite soupe sur leur petit feu. C’est-à-dire qu’on ne fait rien (ou seulement du vent avec les pales des éoliennes).
Qui d’autre que l’Etat pour conduire une politique d’ampleur ?
Complétons par un point assez nodal dans le programme de Yannick Jadot : l’Europe ET la décentralisation comme solutions. La décentralisation doit se comprendre dans la droite ligne de répulsion de l’État qui caractérise EELV. D’ailleurs, elle s’inscrit fort bien dans le fonctionnement institutionnel de l’Union européenne. En effet, celle-ci aime beaucoup « travailler » avec les régions, mais les grandes régions. Non seulement celles-ci sont représentées par un lobbying spécifique auprès des instances de l’UE mais cette dernière leur réserve directement un certain nombre de fonds. Pour les Verts, combiner l’Europe et la décentralisation régionale, c’est le moyen pratique de se débarrasser de cet acteur encombrant et qu’ils estiment dépassé : l’État.
Cela fait trente ans que de manière systématique et cohérente les néolibéraux qui peuplent les institutions en France ou dans l’Union européenne érodent l’action de l’État, le dépècent peu à peu. Or qui d’autre pour conduire une politique d’ampleur qui vise à rien moins qu’à changer radicalement nos modes de production, nos modes de consommation, nos modes de distribution et de transports ?
Mais répétant des considérations vagues (et venteuses) sur une « Europe » à laquelle on s’adresse comme les enfants adressent une liste au Père Noël, sans jamais se préoccuper de ce qui est, ou non, réalisable, EELV refuse de repenser son rapport à l’action publique et à l’État. Le tabou est trop fort. On tourne en rond : comment mettre en place les politiques écologiques vue l’ampleur qu’elles doivent prendre et leur urgence ? Pas de réponse ou des réponses qui n’en sont pas (« l’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! »). Le Minotaure tourne encore et toujours dans son labyrinthe.
Incohérence
Tant de non-dit, de confusions en entraînent d’autres – comme par exemple, être proche des socialistes. Car c’est très tranquillement que Yannick Jadot annonce que Anne Hidalgo pourrait « évidemment » être sa première ministre s’il est élu.
Anne Hidalgo, la candidate proche du milliardaire Bloomberg au point d’exporter dans la gestion de la capitale les méthodes de ce dernier ? (Voir mon livre Pourquoi Bloomberg vote Hidalgo (et Macron) – Téléchargement gratuit). Anne Hidalgo soutenue par un Parti socialiste qui aura activement promu la mondialisation financière et marchande ? Oui, oui, « évidemment ». Après cela, l’écologie réelle devient une option.
Confusions, aporie, déclarations vagues et venteuses : finalement, il y a dans l’incohérence une certaine cohérence. Ne pas surmonter ses propres contradictions amène à les ensemencer partout.
par Frédéric Viale
Janvier 2022
Crédit photo LFI