Anne-Sophie Simpere est spécialiste des libertés publiques. Elle travaille avec l’ONG Amnesty France. Ce 20 janvier, elle publie le livre « Comment l’Etat s’attaque à nos libertés », coécrit avec Pierre Januel (Plon, 19 €).
1) Bonjour Anne-Sophie, quelles sont les principales libertés que nous devrions chérir ?
Les droits humains sont un ensemble de droits et de libertés dont toute personne doit bénéficier. Nous devrions nous attacher à les protéger.
Il y a certains droits auxquels on ne peut jamais déroger, comme le droit de ne pas subir de torture. De mon côté, j’ai particulièrement travaillé sur la liberté d’expression, dont découle le droit de manifester. Mais aussi la liberté de la presse, la liberté d’association et la liberté de religion… Ainsi que le droit à la sûreté, qui veut qu’on ne puisse pas être privé de liberté de façon arbitraire, sans raison.
Tous ces droits nous protègent contre les abus de l’État. Ils permettent un bon fonctionnement de la société. Prenons la liberté de manifester : elle est essentielle pour défendre beaucoup d’autres droits et d’autres causes. Par exemple, les manifestations pour le climat sont importantes pour pousser les gouvernements à agir.
Manifestation de Gilets jaunes, France
Les Gilets jaunes ont réclamé davantage de démocratie et notamment le RIC
2) Vous expliquez que nous entrons dans une société de surveillance et de répression.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Nous montrons dans notre livre que, depuis de nombreuses années maintenant, il y a une forme de glissement répressif en France. C’est un phénomène progressif. Des lois punitives ont d’abord été votées parce qu’il fallait lutter contre les « racailles », une manière injurieuse de parler de certains jeunes de banlieue. Puis contre le terrorisme, et aujourd’hui dans le cadre de la crise sanitaire. A chaque fois, il s’agit de créer des sanctions, de donner plus de pouvoir à l’exécutif et de renforcer les moyens de surveillance.
Ces logiques débordent sur d’autres groupes que ceux visés (à tort ou à raison) initialement. Par exemple, les lois d’urgence contre le terrorisme ont très vite servi à limiter les manifestations et à assigner des militants écologistes à résidence.
« Comment l’Etat s’attaque à nos libertés », coécrit avec Pierre Januel (Plon, 19 €)
3) Pourquoi nos dirigeants voudraient-ils rogner nos libertés ? Et pourquoi le peuple l’accepterait-il ?
Face à un problème, nos gouvernements successifs semblent avoir du mal à proposer d’autres solutions que des mesures de police et de sanction. A l’arrivée du Covid, nous avons eu droit à des amendes pour faire respecter le confinement, par exemple.
Dans bien des cas, pourtant, l’approche répressive est peu efficace. Certains problèmes sont complexes et demandent des solutions de long terme. Prenons la délinquance : faire tout reposer sur la police et la justice ne permet pas de résoudre les problèmes sociaux, d’éducation ou de politique de la ville.
Les réponses répressives montrent qu’on agit vite. Elles donnent une image de fermeté, que beaucoup de dirigeants recherchent. Cela relève souvent de la communication ! Puis la répression devient une réponse face à tout ce qui est considéré comme un risque : les jeunes de banlieue, les terroristes, puis les manifestants, les musulmans…
Nous l’acceptons quand nous ne sommes pas concernés, car ces mesures s’appliquent à des groupes stigmatisés dans les discours publics. Et nous nous habituons…
Anne-Sophie Simpere auditionnée à l’Assemblée nationale sur les pratiques du maintien de l’ordre, 2020
4) Pensez-vous que la France puisse devenir un état encore plus autoritaire, voire un état fasciste ?
Cela dépend des personnes qui arriveront au pouvoir dans les prochains mois et les prochaines années.
Ce qui nous inquiète, c’est qu’avec toutes les lois votées ces dernières années – loi sur le renseignement, loi anti-casseurs ou loi antiterrorisme – tous les outils sont là pour contraindre une large part de la population. Il suffit par exemple de qualifier un groupe de « terroriste » pour pouvoir lui infliger des perquisitions ou des sanctions sans procès. Et si un dirigeant extrémiste qualifiait ainsi les écologistes ou les syndicalistes ?
Présence policière lors d’une manifestation, France
5) Selon-vous, que faudrait-il faire pour défendre et améliorer nos libertés publiques ? Y a-t-il des pays à prendre en exemple ?
Malheureusement, les dérives liberticides et autoritaires se retrouvent dans de nombreux pays : Brésil, Hongrie, Pologne… Même dans des Etats plus proches, des lois problématiques sont en train d’être votées. Au Royaume Uni, une nouvelle loi sur la police risque d’entraver le droit de manifester.
Ceci étant dit, il y a eu d’autres moments de recul des libertés dans l’histoire. Il reste possible de revenir dessus. Pour cela, nous considérons que la mobilisation de la société civile est un élément clé. Citoyennes et citoyens, associations, journalistes, syndicats, universitaires… Face à des mouvements d’ampleur, les gouvernements peuvent reculer, revenir sur les lois et pratiques les plus dangereuses, évaluer les politiques pour qu’elles soient vraiment au service de la population…
Parmi les contre-pouvoirs, nous sommes sans doute celui qui peut faire changer les choses le plus radicalement. A condition de nous mobiliser !
Merci Anne-Sophie.
Crédit photo : capture vidéo Amnesty International France