Inès Corinto est une militante engagée pour l’environnement. Elle est chercheuse à l’association Intui Chain Lab qui accompagne des collectivités en matière de résilience. Conseillère municipale, elle a été candidate aux élections départementales de 2021 sous l’étiquette EELV dans une liste de l’alliance Moselle en Commun.
1) Bonjour Inès ! Qu’est-ce que c’est, la résilience alimentaire ?
Je préfère parler plus largement de résilience territoriale.
Pour cela je reprends la définition de Jean-Michel Tanguy et Anne Charreyron-Perchet :
“La résilience territoriale s’impose comme le moyen de dépasser les situations de crise et d’engager les territoires dans une vision à plus long terme qui intègre le risque et s’appuie sur les forces et les potentialités locales.”
La résilience alimentaire est un volet de cette résilience territoriale. En cas de crise (inondations, rupture d’approvisionnement en pétrole, etc.) il existe un risque d’indisponibilité alimentaire. Localement, pour une durée plus ou moins longue, la quantité de nourriture disponible peut être insuffisante. Ce phénomène s’ajoute à l’insécurité alimentaire ordinaire des ménages pauvres. On comprend à quel point cela peut être grave !
Il y a résilience alimentaire si l’on est raisonnablement préparé à ce risque.
En 2020, la vallée de la Roya, dans les Alpes maritimes, a été brutalement isolée par la tempête Alex ;
des hélicoptères ont évacué des sinistrés et apporté des vivres. Image capture BFMTV.
2) En 2020, tu as attiré l’attention des candidats aux municipales, près de chez toi, à ce sujet. Pourquoi ?
Mon étude scientifique sur la question de la résilience alimentaire montre que la majorité des élus ne sont pas conscients du risque réel d’insécurité alimentaire en cas de crise. Ce problème est pourtant documenté par des scientifiques depuis longtemps. La pandémie facilite les prises de conscience sur ce sujet, peut-être parce que le risque apparaît plus proche qu’auparavant.
L’accompagnement des élus est un sujet important. En effet, je pense qu’ils ont besoin d’être formés, informés, afin de développer des politiques de résilience territoriale.
Il existe de plus en plus de moyens pour le faire. Par exemple, le droit individuel à la formation des élus leur permet de se former régulièrement sur ces sujets (et d’autres).
« La résilience alimentaire est un enjeu de sécurité nationale. Nos territoires, mêmes ruraux, sont alimentairement malades car non autonomes, mais tiennent car perfusés par les camions de la grande distribution. Hélas, cette dernière n’ que quelques jours de stocks. »
Stéphane Linou
En tant que conseillère municipale, j’ai eu l’occasion de suivre une formation dispensée par Stéphane Linou, formateur à l’Institut supérieur des élus. Ce n’est pas grave de ne pas savoir. Un élu local a beaucoup de responsabilités au quotidien, c’est sûr. Néanmoins, je pense que cela fait partie du rôle d’élu de prendre au sérieux ce risque, qui n’en est qu’un parmi tous ceux qui planent sur le Vivant, auquel nous appartenons. Les moyens existent, c’est une question de volonté.
3) Que doit-on faire pour améliorer notre sécurité alimentaire ?
Il existe plusieurs moyens d’agir pour développer la résilience alimentaire, tout dépend de là où on se situe.
Dans mon étude, voici les recommandations que j’ai proposées à destination des collectivités territoriales :
1 – Réviser le Plan Communal de Sauvegarde (PCS) et le Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) en prenant en compte la vulnérabilité alimentaire (anticipation des risques),
2 – Développer les Projets Alimentaires Territoriaux,
3 – Mettre en place une stratégie de médiation pour éveiller les consciences à ces sujets : conférences, débats, ateliers, etc…,
4 – Développer l’intelligence collective entre les acteurs en créant un groupe de travail,
5 – Créer un poste de facilitateur de la résilience territoriale pour coordonner la démarche.
Il y a beaucoup d’autres actions possibles proposées par Stéphane Linou, Céline Basset, les Greniers d’Abondance, etc… On peut imaginer, par exemple, un stockage collectif de denrées alimentaires à utiliser en cas d’urgence, ou encourager les fermes à pratiquer la polyculture, avec une partie de leur production destinée à l’alimentation locale.
Le citoyen, quant à lui, peut rejoindre une AMAP, cultiver par lui-même dans un jardin personnel ou partagé, dans des bacs (agriculture urbaine), acheter des produits locaux, faire quelques stocks ou se former sur la question (plantes comestibles, fresque de l’alimentation, faire ses bocaux, etc…). Il existe de nombreux moyens d’actions, ce ne sont que quelques exemples.
4) Tu animes aussi des ateliers « la fresque du climat ». De quoi s’agit-il ?
La Fresque du Climat est un outil ludique et scientifique qui permet de comprendre le dérèglement climatique. C’est un atelier collectif où l’on utilise des cartes afin de comprendre les relations de cause à effet qui provoquent ce dérèglement climatique. De plus, cela permet de nous faire prendre conscience de la situation réelle car ce jeu a été créé à partir des données scientifiques du GIEC. Enfin, il permet de s’interroger ensemble pour réfléchir à ce qu’il est possible de faire à titre personnel et collectif.
La Fresque du Climat est un jeu sérieux pour mieux comprendre la situation climatique
5) Penses-tu que l’on puisse vraiment changer les choses grâce à la politique ?
Oui, je pense que la politique peut faire bouger les choses dans le bon sens pour le Vivant. Des exemples concrets fleurissent partout en Europe comme cela a été présenté sur le Forum des Possibles. Il y a de magnifiques exemples inspirants en France, mon préféré étant la maison d’éducation à l’alimentation durable de la commune de Mouans-Sartoux. Comme je le disais précédemment, pour moi, tout est une question de volonté et de prise de conscience sur ces sujets. Ma mère me l’a toujours répété, quand on veut, on peut !
Au-delà de la politique, je pense aussi, comme le dit Annick de Souzenelle, que « l’écologie extérieure est inséparable de l’écologie intérieure ». C’est un point qui me semble clé et qui n’est pas très présent dans l’engagement militant. Or, je pense que le gros du travail consiste à accompagner les individus dans une démarche de transformation intérieure qui changera leur vision du monde, leur rapport au Vivant, etc… Il y a beaucoup d’outils disponibles pour rendre cela possible : psychologie, médecines alternatives, spiritualité, etc… Si on ne prend pas en compte l’écologie intérieure, je crains que les actions menées en faveur de l’écologie extérieure ne soient pas durables.
Merci Inès !
Propos recueillis par Pierre Jédar, administrateur de Ecologie & Démocratie.
Crédit photo : Nicolas L’Impala