La France est-elle une démocratie ?

14/10/2022

Le 8 octobre dernier, notre association a organisé la Fête de la démocratie à Saint-Léonard-de-Noblat.

La première table-ronde a frappé les esprits par la justesse et l’ampleur de ses considérations sur cette question de fond : la France est-elle une démocratie ? Comment peut-on améliorer la démocratie en France ? Avec Alfonso M. Dorado de Decidemo(s), Thierry Charlois des Apérocrates, Pierre Schwarz du projet Imagine, Philippe Conte de Génération Frexit et Fadi Kassem du PRCF.

Une retranscription à l’écrit est en cours, ajoutée sous la vidéo dans cet article. Les questions ont été retirées au montage. Bon visionnage !

 

 

 

INTRODUCTION de Jérôme YANEZ :

 

Bien ! Bonjour à toutes et à tous. Merci d’être présent en ce samedi. Le samedi on pourrait faire plein d’autres choses que de parler démocratie, donc je vous remercie d’être présent aujourd’hui.

Je m’appelle Jérôme Yanez, j’habite ici à Saint-Léonard-de-Noblat et avec quelques camarades nous avons créé une association qui s’appelle Ecologie & Démocratie. J’en suis co-fondateur et j’occupe la fonction de président de cette association.

L’association compte actuellement 12 adhérents et nous sommes tout à fait favorables à recevoir davantage d’adhésions. Vous trouverez si vous le souhaitez une petite fiche d’adhésion après la table-ronde. Si jamais vous choisissez de ne pas adhérer, je vous invite à examiner la possibilité d’adhérer aux différents groupes qui seront représentés aujourd’hui. Ce sont des groupes tout à fait intéressants qui font un travail de fond et qui font vivre la démocratie en France.

Alors nous organisons aujourd’hui cette fête de la démocratie. Le but est de faire de l’éducation populaire sur le thème de la démocratie et d’être un moment de rencontre et de convivialité.
Les gens qui sont ici, autour de cette table, et qui seront présents également cet après-midi ne pensent pas tous la même chose : il y a une vraie diversité de points de vue qui seront représentés, et je pressens qu’on aura une liberté dans la discussion qui sera peut-être supérieure à ce qu’on a l’habitude de voir à la télévision.

On en vient à cette question d’introduction. Qu’est-ce que la démocratie ?

Sur notre site internet, le site de l’association ecologiedemocratie.fr nous avons fait un glossaire et nous avons défini les principaux mots de l’écologie et de la démocratie. Voici la définition de la démocratie que nous affichons sur ce site. Nous appelons démocratie un régime politique dans lequel le pouvoir est librement exercé par les citoyens souverains associés à part égale.

Voilà, tout simplement.

En fait, quand on dit démocratie c’est demos-cratos, le pouvoir au peuple. Or, le peuple c’est vous et donc si vous avez le pouvoir, vous êtes en démocratie.

A la question la France est-elle une démocratie, qui sera discutée à la table-ronde on peut apporter rapidement deux réponses qui j’espère seront dépassées par le débat. La première réponse spontanée, c’est de dire « Evidemment la France est une démocratie. La France n’est pas l’Arabie Saoudite, la France n’est pas la Birmanie, la France n’est pas la Corée du Nord. » Et c’est vrai qu’en France on a une certaine liberté d’expression, on a la liberté d’association, on a une salle ici qui nous est prêtée gratuitement par la mairie de Saint-Léonard-de-Noblat – que je remercie – et aucune police ne va entrer dans cette salle pour protester contre les idées, quelles qu’elles soient, qui y sont exprimées. Chacun d’entre vous a le la possibilité, s’il le souhaite, de se présenter aux élections, élections libres.

Donc oui, nous sommes une démocratie. Ca c’est la première réponse : évidemment la France est une démocratie.

Et puis la deuxième réponse c’est évidemment pas. J’ai dit que la démocratie, c’est le pouvoir au peuple donc c’est quand c’est vous qui prenez les décisions. Je vous invite chacun et chacune à fouiller votre mémoire pour vous rappeler la dernière décision politique à laquelle vous avez participé. A moins que vous apparteniez à un conseil municipal, votre réponse sera : « j’ai simplement élu quelqu’un, et on a une élection tous les 5 ans pour la présidence et une élection tous les 5 ans pour les députés. Et c’est tout. »

Il s’agit donc d’un transfert de votre pouvoir de décision à des élus. Bien sûr, on peut l’accepter comme un système satisfaisant, mais ce n’est pas proprement dit la démocratie, puisque votre pouvoir de peuple est transmis à quelqu’un d’autre. C’est la raison pour laquelle, dans notre association, nous préférons parler de système représentatif, puisque ce sont des représentants qui détiennent le pouvoir que vous leur avez transféré.

Donc première réponse évidente oui, évidemment, on a une démocratie. Et deuxième réponse évidente, non, évidemment, nous ne sommes pas en démocratie.

Alors on peut tous s’accorder sur le fait, si on veut bien dire que la France est une démocratie, que c’est une démocratie imparfaite.

Je vais rappeler quelques quelques faits des dernières années.

En France, les libertés publiques sont en baisse.
En France, quand on va manifester, on peut se faire tirer dessus au flash-ball, on peut se faire crever les yeux, on peut se faire briser une mâchoire.
En France, il arrive qu’on utilise des armes qui sont plutôt des armes de guerre sur les manifestants.
En France, on peut gazer, on peut nasser, que ce soit des manifestations de gilets jaunes ou des manifestations écologistes.
En France, on a fait ces dernières années des lois d’exception, notamment suite aux attentats terroristes. Simplement ces loi d’exception sont devenues la norme, et donc en France on peut ficher les gens sur leurs opinions politiques et les décisions de justice peuvent s’appuyer dessus.
En France, comme on l’a vu cette année, on peut fermer des chaînes de télévision. Je pense aux chaînes de télévision pro-russes, qui ont été fermées suite à une décision européenne.
En France, l’Élysée peut exercer des pressions sur les journalistes et occasionnellement faire supprimer des articles.
En France, la présidence peut créer une assemblée de citoyens tirés au sort pour le climat, promettre que les décisions seront respectées sans filtre, et ne pas respecter cet engagement.
En France, on peut affaiblir les services publics alors que le maintien des services publics est une des principales demandes du peuple français.
En France, on privatise même si les Français ne l’ont pas demandé.
En France, on peut gouverner par des conseils de défense, qui sont opaques et secret-défense.
En France, on peut déclarer la guerre sans passer par le Parlement.

Voilà, je pourrais égréner un certain nombre de choses supplémentaires.

Nous considérons à Ecologie et Démocratie que rien n’est acquis, que la démocratie française – si on veut bien l’appeler ainsi – est en voie de fragilisation.

Et si on veut admettre que la France n’est pas une démocratie ou est une démocratie imparfaite, il y a des questions qui viennent aussitôt et j’espère qu’elles seront débattues.

Si ce n’est pas le peuple, si ce n’est pas vous qui exercez le pouvoir, qui est-ce ? Est-ce que c’est le Parlement ? Est-ce que c’est le président ? Est-ce que ce sont de grands intérêts, les forces de l’argent, des forces extérieures ? Et deuxième question : si notre pouvoir a été transféré, comment fait-on pour le récupérer ? Comment fait-on pour récupérer l’autonomie de décision que, si on est démocrate, on aurait jamais dû perdre ? Quelle stratégie peut-on adopter ?

Voici donc le thème de la première table-ronde.

Pour en parler je présente Thierry Charlois. Tu es membre des apérocrates, cofondateur du collectif pour une République de l’intelligence collective. Tu as créé la chaîne youtube d’éducation populaire « cogitons pour 2022 » qui a publié une dizaine de vidéos en un an et tu y défends la souveraineté populaire et la démocratie réelle. Tu considères que nous avons besoin d’un processus constituant citoyen pour une nouvelle république basée davantage sur la démocratie directe, le tirage au sort et le référendum d’initiative citoyenne. Tu as été très favorable au mouvement des gilets jaunes.

Bienvenue à la tribune, Thierry, je te propose de présenter les invités et moi je libère la table. Merci, merci à tous d’être là.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Jérôme m’a demandé de d’animer cette table-ronde, chose que je n’ai jamais faite. Je me lance, j’espère que je vais m’en sortir à peu près.

Bon, déjà, vous avez remarqué qu’au niveau de la parité sur la table-ronde on n’est pas bons. Je sais que Jérôme s’est battu pour que l’on ne soit pas que des hommes, mais malheureusement… Il faut dire que les hommes sont aussi en majorité dans le public. C’est un problème qu’on a également au niveau des apérocrates. Quand on organise des apéros de discussion et de réflexion, on a toujours deux hommes et deux femmes, pour faire les discutants avec les invités. Pour les hommes il y a jamais de problème, il faut sélectionner, et pour les femmes il faut se battre jusqu’au dernier moment pour arriver à trouver. C’est un vrai sujet, il va falloir qu’on y réfléchisse.

Je vais commencer par présenter les invités. Au bout, je présente Philippe Conte, qui est chef d’entreprise et l’entreprise en question est une boucherie végétarienne. Vous êtes opposé au néolibéralisme l’européisme et à l’impérialisme américain. Je vais dire « tu » ça sera quand même plus sympa. Tu as fait partie de l’Union Populaire Républicaine (UPR) pendant un certain temps, et avec un certain nombre de membres de l’UPR, vous êtes sortis de cette organisation pour créer Génération frexit, dont le slogan est « reprenons le contrôle ».

Fadi Kassem, à droite, est professeur d’histoire-géographie et communiste. Tu es secrétaire général du Pôle de renaissance communiste en France. Vous êtes plus communistes que le Parti communiste. Tu es anticapitaliste, anti-impérialiste et favorable à la sortie de l’Union européenne et de l’OTAN.

Ensuite, nous avons Pierre Schwarz, que je connais déjà parce qu’il est également comme moi des apérocrates. Pierre est chef de projet en informatique. Tu animes le projet Imagine, qui est un projet de réflexion autour d’une alternative au système. Tu animes également le site internet candidatscitoyens.fr qui identifie les candidatures citoyennes aux élections. Tu appelles à la convergence des partisans de la démocratie réelle et tu es pour « l’Union des petits ».

Et pour finir Alfonso Dorado, tu es avocat pénaliste, tu es membre des citoyens constituants et tu es à ton corps défendant président de Decidemos, dont tu es l’un des cofondateurs. Parce qu’il n’était pas candidat, mais ils l’ont quand même élu et il a accepté. Votre slogan est « la population décide ».

Après cette brève présentation, je vais vous inviter à répondre à trois questions. La première c’est : la France est-elle une démocratie ? Jérôme a commencé à y répondre. La deuxième, pour vous, ça serait quoi une démocratie idéale. La troisième étant : qu’est-ce que vous proposez comme stratégie pour atteindre cette démocratie idéale.

Bien, on va commencer peut-être par Alfonso. De ton point de vue, la France est-elle une démocratie ?

 

Alfonso DORADO, Decidemo(s) :

 

Merci. Tout d’abord, bonjour à tout le monde. Merci beaucoup Jérôme et à la mairie pour cet exercice pédagogique. On avait évoqué par téléphone l’importance de l’éducation populaire, de contribuer à faire circuler les idées, sous forme du contradictoire et de l’interaction avec les gens qui nous paraît très important à Decidemos.

Juste une petite précision : Decidemos est une association, un parti politique qui est organisé sous forme d’association. C’est comme ça en France. Et qui promeut la démocratie réelle et son exercice aussi au quotidien en interne.

Alors à la question, pour rentrer dans le vif du débat, est-ce que la France a un régime politique démocratique.

Je vais reprendre évidemment par rapport à ce que nous discutons en interne surtout au niveau de Decidemos. Déjà, il faut trouver des repères pour définir si la France est une démocratie. D’abord déjà définissons ce qu’est la démocratie.

Jérôme en a parlé déjà un peu au début. On revient aux bases : c’est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Mais il y a quand même trois caractéristiques qui nous semblent très importantes dans Decidemos, qui sont en plus inscrites dans nos propres statuts, qui sont notre Constitution et nos règles constitutionnelles. Ces trois principes sont l’iségorie, l’isocratie et l’isonomie. Si à partir de ça, ces conditions sont remplies, on pourrait dire que oui, la France a un régime démocratique. Et si elles ne le sont pas, ce n’est pas une démocratie, et tentons de définir qu’est-ce que c’est comme régime.

Iségorie, nous l’entendons comme cette égalité médiatique pour tout individu à part égale, à égalité. En découle aussi le temps de parole. Quand en France, en ce moment, vous avez 7 milliardaires qui concentrent la plupart des médias, il y a un problème au niveau de cette égalité médiatique, de cette iségorie qui devrait normalement s’appliquer. Oui, il y a une sorte de leurre, d’apparente liberté d’expression et de liberté de penser. Mais on a déjà évoqué tantôt un exemple assez manifeste, préoccupant même. Le simple fait de fermer un média, même s’il n’est pas dans nos idées ou même si on n’est pas partisan de ce qui est exprimé dans ce média – et en plus nous ne sommes pas en guerre officiellement – est préoccupant.

François Sureau, qui est un avocat du Conseil d’État et de la Cour de cassation, dans un intéressant pamphlet que je vous invite à lire, « Sans la liberté », explique bien et nous fait la démonstration, à partir de la saga du covid, de comment les libertés d’expression et autres libertés publiques et droit fondamentaux sont égratignés jour après jour.

Alors le deuxième élément qui pourrait caractériser le fait qu’on soit en régime démocratique est l’isocratie. Est-ce que tous les individus, dans un territoire donné comme la France, ont le même pouvoir politique, à égalité. Non, malheureusement, cette condition n’est pas remplie.

Voyons dans l’exercice du crash-test si cette condition est respectée. L’article 3 de la Constitution établit que le peuple gouverne à travers ses représentants ou par référendum. A travers des représentants, c’est déjà une délégation du pouvoir de décider. Il y a un problème dans cette délégation. Décider par des intermédiaires, ce n’est plus vraiment un pouvoir politique qui est directement exercé par le citoyen ou la citoyenne. Ca pose un problème d’égalité politique au niveau du pouvoir de faire des propositions de loi et surtout au niveau du pouvoir de décider – l’idée d’isocratie c’est de décider à part égale.

Ou par référendum, c’est ce qui indique l’article 3. il y a déjà des problèmes par-rapport à l’application du référendum. Il suffit de voir ce qui s’est passé en 2005 [Référendum sur le Traité constitutionnel européen]. Le non-respect d’une décision populaire. C’est la trahison de 2008 avec le traité de Lisbonne. Je passe, je crois que vous connaissez. Nous avons un problème avec l’application même du référendum.

Après, oui, vous pouvez me dire qu’il existe aussi le référendum d’initiative partagée, mais avec des conditions inatteignables ou très compliquées, et qui finalement vous renvoient à des décisions entre partis politiques, c’est-à-dire entre les maîtres des règles du jeu.

Donc cette deuxième condition ne semble pas non plus respectée.

La troisième caractéristique est l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité des citoyens face à la règle. Est-ce que tous les citoyens sont égaux face au respect de la règle ou aussi pour légiférer.

Ce n’est pas malheureusement le cas, soit parce qu’on va passer par un représentant et par-rapport à l’application de la règle ce n’est pas toujours le cas.

Si on s’en vient à réviser avec un certain recul cette définition l’iségorie, l’isocratie, l’isonomie, en résumé ces conditions ne sont pas respectées. On ne peut pas considérer que la France est un régime démocratique dans le sens propre du terme ni dans le sens grec en revenant à nos sources, c’est-à-dire la population n’a pas la possibilité de vraiment décider.

Ce que nous faisons chaque 5 ans ou 6 ans, selon le type d’échéance électorale, c’est choisir nos maîtres, d’une certaine manière, ou donner des chèques en blanc pour que des personnes décident à notre place. Il n’y a pas la possibilité de décision directe des citoyens. Les citoyens aujourd’hui décident plutôt sur des personnes alors que la chose qu’il faudrait faire, c’est décider sur des idées.

Je vous rappelle quand même qu’en Grèce, pendant plus de 150 ans, presque deux siècles, la vraie démocratie ou démocratie réelle a été mise en oeuvre. Elle a fonctionné. Elle a montré aussi ses limites, on va dire, parce qu’elle a été attaquée, mais elle a montré que ça fonctionnait et en respectant précisément ces trois caractéristiques (iségorie, isocratie, isonomie) et surtout l’esprit selon lequel la population décidait directement. On peut critiquer évidemment le type de population, tout le monde ne pouvait pas voter, mais bon, dans cette configuration de population, la population qui avait ces droits était à égalité.

Mais qu’est-ce que la France finalement ? Pourquoi est-ce qu’on l’appelle démocratie ? C’est un terme de la novlangue. Ce mot a été dévoyé. Il a été mal utilisé à partir du 19ème siècle. On a de manière malveillante utilisé l’étiquette « démocratie » pour désigner ce qui n’est pas une démocratie, ce qui est en fait un régime représentatif, oligarchique, aristocratique et électoral.

Même les pères fondateurs des Etats-Unis avaient évoqué les dangers d’instaurer un régime démocratique et dit qu’un régime représentatif et électoral était préférable. Pourquoi ? Parce que les gens sont dangereux dans leur conception. Les gens sont cons, les gens sont violents, les gens risquent de prendre conscience et d’affecter certains intérêts économiques. Cela va avec l’essor du capitalisme et de certaines politiques libérales et aujourd’hui néolibérales.

La réponse est non. Une autre preuve de nature juridique et constitutionnelle. Quand je vous dis que la population ne peut pas décider directement et ne peut même pas obliger ses élus à respecter ses propres décisions. On peut imaginer, ce serait plutôt un rêve, qu’un élu, à partir de la circoncription qui l’a élu, doive respecter le mandat donné par ses électeurs sur certaines idées, sur certaines choses à voter ou sur certaines thématiques. Sachez que ce n’est pas possible, en tout cas en principe, parce que l’article 27 l’interdit. Tout mandat impératif est nul d’après la Constitution française. Si nous avons été inséré cet article dans la constitution du 4 octobre 58, ça n’est pas pour rien.

Après vous pouvez dire que de toute façon on a nos représentants au Parlement. Mais nous avons une autre preuve, assez révélatrice, du manque de démocratie au sens « le peuple décide ». Si on a un Parlement, on se dit que l’Assemblée nationale devrait être sociologiquement représentative de la population française. C’est une question de bon sens. Est-ce qu’elle l’est ? Non, elle ne l’est pas. Loin de là. Donc ça pose une difficulté, cette représentation sociologique de la population française. Ceux qui, par mandat électif, vont pouvoir la représenter, ceux qui prennent les décisions, ne sont pas des gens qui représentent sociologiquement la France. Combiné avec cet article 27 et la nullité de du mandat impératif, il se pose un problème pour pouvoir définir une démocratie.

Aujourd’hui nous sommes dans la novlangue. On dit qu’il faudrait faire respecter la démocratie, mais quelle démocratie ? Il n’y a jamais eu de démocratie ! C’est justement l’idée de Decidemos, c’est de promouvoir un premier régime démocratique réel où la population puisse décider. Alors est-ce un rêve, est-ce une utopie ? C’est une question de distance. On n’est pas sûr que ce sera nous qui verrons un jour ce régime aboutir et se développer, mais il faut semer.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Merci beaucoup, effectivement le terme « démocratie » a été utilisé à partir de la mise en place du suffrage universel. Je crois qu’avant ça on ne l’utilisait pas puisque la démocratie avait été rejetée au moment de la Révolution française.

Pierre, alors, est-ce qu’on est en démocratie ?

 

Pierre SCHWARZ, projet Imagine :

 

Dans le sens démocratie grecque ou démocratie réelle, non, la France n’est pas une démocratie. C’est un point d’accord. Ensuite, on va revenir sur la novlangue. Effectivement, aujourd’hui, on dit souvent que la France est une démocratie comparée à la Corée du Nord. Mais regardez la Suisse, où il y a des référendums plus souvent. Donc en Suisse, on est davantage en démocratie. On a là une idée de degré de démocratie, de nuance de démocratie. Et donc on va commencer à calculer le degré de démocratie de manière mathématique.

Quand est-ce qu’on a de la démocratie en France ? Exactement au moment où on vote. Au moment où on choisit nos députés, on peut dire que les citoyens ont le pouvoir de choisir leur représentants. Et ça, on va dire que ça représente un jour ou deux sur une moyenne de mandat de 5 ans. Alors, j’ai fait le calcul ce matin. Je vais vous dire. On est en démocratie à 0,1 %. C’est le chiffre exact de notre démocratie, de notre nuance de démocratie en France.

Ensuite, on va prendre le côté députés. Quand on a des députés qui nous représentent, ils sont élus via un système où il y a des perdants et il y a des gagnants. En fait, on peut dire qu’on est dans un système aristocratique, c’est-à-dire qu’on est censés élire les meilleurs, et les meilleurs ont le pouvoir pendant 5 ans. C’est un système aristocratique. Ce qui est drôle, c’est qu’on rejoint ce que disait Montesquieu dans son livre « De l’esprit des lois » qui analysait notre système actuel comme une république aristocratique, à l’inverse d’une république démocratique où les représentants seraient tirés au sort. Donc nous sommes dans une république aristocratique et ploutocratique à 99,9 %.

Je vais aller plus loin. on sait tous qu’à l’Assemblée nationale, les députés sont approchés par des lobbys. C’est autorisé et commun. Avec ce système de lobbies, on peut dire qu’on a une partie de ploutocratie [pouvoir aux riches]. On peut même dire qu’il y a un côté oligarchie si on regarde du côté de certaines familles qui gardent le pouvoir.

Donc la France a une partie de démocratie – 0,1 % – mais majoritairement, elle reste sur un système aristocratique, voire ploutocratique et oligarchique. C’est mathématique, on peut le calculer. Le temps de l’élection, les citoyens ont le pouvoir, le reste du temps ce sont les autres personnes.

Je regardais aussi un autre point. On peut réfléchir la démocratie au niveau de la séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, on considère trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Cette séparation des pouvoirs a été théorisée par Montesquieu et John Locke il y a plus de 200 ans. On peut la remettre en cause. On pourrait dire que les médias sont un pouvoir. Ce qu’a fait d’ailleurs Alexis de Tocqueville. Et on pourrait trouver d’autres pouvoirs, comme l’éducation. On pourrait dire que l’éducation nationale ne doit pas être dirigée par les gens qui font le législatif ou l’exécutif. Et séparer ainsi le pouvoir.

Chaque type de pouvoir donné, que ce soit la démocratie ou l’aristocratie, peut être appliqué à chacun des pouvoirs. On voit bien que le pouvoir judiciaire aujourd’hui n’est pas un pouvoir démocratique. Il y a pas de choix des citoyens. Il n’y a pas de pouvoir des citoyens. C’est vraiment technocratique : on fait une formation et puis on devient juge. Et à côté, l’exécutif peut nommer des préfets etc.

Clairement, la France n’est pas une démocratie réelle. Et en termes de novlangue, c’est-à-dire l’utilisation de la démocratie actuelle, on pourrait dire que sur le pouvoir législatif la France est à 0,1 % une démocratie. Je pense que c’est pragmatique et ça se calcule.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Effectivement 0,1% ça ne fait pas beaucoup.
Fadi, je t’en prie.

 

Fadi KASSEM, PRCF :

 

Merci. Déjà, merci beaucoup pour l’invitation du Pôle de renaissance communiste en France. Petite précision pour tout le monde, le PRCF n’est pas un parti mais un pôle, comme le dit son nom, qui a été fondé – ça va faire bientôt 19 ans – par des camarades qui étaient membres du PCF et qui l’ont quitté tout simplement parce qu’ils étaient en désaccord avec une ligne, une dérive, qui intervient aujourd’hui depuis plus de 45 ans. La dérive d’un parti communiste qui n’est de fait plus vraiment communiste, au moins à sa tête. A l’intérieur, nous avons des militants communistes qui se sont toujours battus et continuent à se battre.

Ils se battent notamment pour ce principe central qui a été rappelé par Jérôme tout à l’heure, le principe démocratique de la souveraineté. Il me semble que c’est vraiment le terme clé.

Quand on pense à démocratie, on pense souvent à liberté. Liberté d’expression, d’opinion, etc. A ceci près que même dans les régimes autoritaires, vous avez en réalité des libertés. Pas toutes naturellement. Vous n’allez pas pouvoir vous exprimer comme vous le souhaitez, ça, bien sûr. Je signale d’ailleurs qu’en France, c’est le cas. Pouvoir s’exprimer comme on le souhaite devient de plus en plus difficile. Pas seulement quand on est communiste, mais en particulier quand on est communiste. Si vous allez dans n’importe quel pays du monde, en fait, il y a une liberté d’opinion, il y a une liberté de se déplacer et de voyager, parfois avec des contraintes.

Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce que, en réalité, la grande confusion historique, nous semble-t-il, et je dis nous parce qu’il n’y a pas que moi qui pense cela au sein du PRCF, c’est de faire croire que démocratie et libéralisme vont parfaitement de pair. Alors qu’en fait historiquement, qu’est-ce que le libéralisme ? C’est une doctrine qui a été fondée, formée, théorisée, justement par essentiellement des aristocrates, qui étaient d’ailleurs propriétaires d’esclaves. On oublie souvent de le rappeler, mais la question de l’esclavage est centrale, historiquement, par rapport à cette question de la démocratie. J’en dirai un mot parce qu’effectivement Alfonso a fait référence à la Grèce antique.

Je dis ça parce que justement le principe de la démocratie – je ne reviens pas sur ce qui a été dit en terme d’iségorie, isonomie, isocratie, que je partage totalement – renvoie aussi à un problème fondamental. Tout simplement, est-ce que les femmes et les hommes sont véritablement libres, donc souverains, c’est-à-dire maîtres de leur destin et en capacité de décider ?

Bon, la réponse est claire, c’est non. Non depuis des siècles en réalité. Non depuis des siècles, y compris en France.

Pourquoi ?

Je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit, qui est tout à fait juste. Je ne vais pas insister sur la question des référendums. Je précise d’ailleurs que ce qu’on a fait en Irlande a été encore plus pervers qu’en France, puisqu’en 2008 les Irlandais avaient rejeté par référendum le traité de Lisbonne, et la réponse des dirigeants a été : « on s’en fout, vous revoterez l’année prochaine et on refera un référendum jusqu’à ce que vous disiez oui ».

C’est ça la démocratie que nous, nous appelons démocratie bourgeoise, et qui en fait est exactement le contraire de la démocratie, que nous nous souhaitons populaire.

Le terme de souveraineté est fondamental. Il est théorisé notamment par Jean-Jacques Rousseau, et j’insiste sur lui parce que c’est justement lui qui va être qualifié ensuite progressivement, ainsi que Robespierre qui s’en inspire beaucoup, Saint-Just et par la suite les bolcheviks de Russie, de totalitaire. Il faut bien comprendre que ceux que nous affrontons sont surtout des oligarques, pas seulement des aristocrates même s’il y en a. Des oligarques qui se sont emparés du pouvoir, qui sont les propriétaires du pouvoir – c’est comme ça qu’ils se pensent – qui sont propriétaires du pouvoir et estiment dès lors qu’ils sont les seuls en mesure d’exercer le pouvoir, parce que les autres sont incapables de le faire, la masse est stupide et incapable de le faire. Tout ça déjà été dit.

Ils se sont emparés du pouvoir non seulement parce qu’ils estiment être en mesure de le faire mais aussi – ça c’est la vision du PRCF – parce qu‘ils défendent leurs intérêts de classe bien compris. Leurs intérêts de classe, c’est bien sûr l’appropriation des grands moyens de production, historiquement. Et c’est là qu’on en arrive au capitalisme. La démocratie n’est pas que politique. Si on veut une démocratie relle ou totale, ça signifie qu’il faut être souverain dans tous les domaines, absolument tous les domaines. Politique, bien sûr, économique donc notamment budgétaire, monétaire et financier (je vais pas revenir dessus parce que peut-être qu’il y aura une intervention en ce sens) mais je dirais même tout simplement dans la maîtrise des moyens d’existence, dans la maîtrise des grands moyens de production. Je parle bien des grands moyens de production. On a parlé des services publics, par exemple. On pourrait parler de l’énergie, des transports. Mais nous ne sommes même plus souverains dans ces domaines-là. Tout est en train d’être littéralement démantelé. Et pourquoi ? Parce que ceux qui nous dirigent obéissent à cette double logique : à la fois ils se croient supérieurs, ils sont convaincus d’être supérieurs quand nous nous serions incapables, et à la fois ils défendent leurs intérêts bien compris, notamment sur le plan économique.

Je me permets de lire une petite citation dont je vous donnerais l’auteur après. En réalité, c’est une réflexion assez ancienne :

« La société capitaliste, considérée dans ses conditions de développement les plus favorables, nous offre une démocratie plus ou moins complète en république démocratique. Mais cette démocratie est toujours confinée dans le cadre étroit de l’exploitation capitaliste et, de ce fait, elle reste toujours, quant au fond, une démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes, uniquement pour les riches.

[ça revoie à la question de la maîtrise des médias, et quand bien même on peut officiellement se présenter aux élections en France, bon courage ! Parce qu’il faut beaucoup, beaucoup d’argent]

… La liberté, en société capitaliste, reste toujours à peu près ce qu’elle fut dans les républiques de la Grèce antique : une liberté pour les propriétaires d’esclaves. Par suite de l’exploitation capitaliste, les esclaves salariés d’aujourd’hui demeurent si accablés par le besoin et la misère qu’ils se « désintéressent de la démocratie », « se désintéressent de la politique »

[l’abstention est une expression de cela, même si en réalité il y a un vrai message politique derrière]

et que, dans le cours ordinaire, pacifique, des événements, la majorité de la population se trouve écartée de la vie politique et sociale. »

C’est ce que disait Lénine, en 1917, dans L’Etat et la Révolution.

Il expliquait très bien que ce qu’on appelle historiquement démocratie n’est en réalité qu’un régime à la tête duquel vous retrouvez des propriétaires oligarchiques qui se sont accaparés des grands moyens de production. Ceci est valable historiquement dans tous les pays où il y a eu ce régime capitaliste, où il y a ce régime capitaliste.

Je termine sur un point – parce qu’on est globalement d’accord sur le constat – je termine sur un point fondamental parce que la Révolution française a été citée à raison. Il faut rappeler que dans l’article 3 dont on ne parle jamais de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, il est indiqué que le principe de toute souveraineté, puisque le principe de la démocratie est d’être justement souverain, le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la nation, et que nul corps, nul individu ne peut s’y substituer. Parce que lorsque Rousseau théorisait la démocratie, il la théorisait dans un cadre matériel qui était à ce moment là praticable pour tout le monde. Alors évidemment derrière, je dis ça parce qu’on vous présente l’Union européenne comme une démocratie. Je vous laisse apprécier. Sans compter les institutions internationales qui seraient démocratiques ceci cela…

Chose importante : cette démocratie n’existe pas, sous la Révolution française, c’est vrai. Jusqu’au moment où s’en mêle le peuple, jusqu’au moment où les sans-culottes s’en mêlent. Ce n’est pas hasard si dans les programmes d’histoire (et je le dis d’autant plus facilement que je suis professeur d’histoire) ce n’est pas un hasard si à partir de 1793 on vous parle de la soi-disant – je dis soi-disant parce que la grande majorité des historiens ont démontré que ça n’existe pas que ça n’a jamais existé comme système je dis bien comme système – on vous parle de la terreur, du totalitarisme, de la terreur, du totalitarisme. Toujours au moment où émerge le peuple souverain. Toujours au moment où émergent les sans-culottes et les travailleurs. Quand la Commune de Paris est massacrée, avec 30 000 morts en une semaine, ça, c’est une terreur, une véritable terreur. Pourquoi ? Parce que la Commune de Paris, les représentants de la Commune le disent eux-mêmes, poursuit l’oeuvre de la Révolution française. Ils disent : « nous visons l’émancipation du genre humain. » Ils se font massacrer. Dès que vous avez un risque d’affirmation d’un mouvement populaire émancipateur, c’est simple, la démocratie, comme le disait bien Bertolt Brecht, vire vers la fascisation. Ce que disait Bertolt Brecht, c’était la chose suivante : « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie (nous, on ajoutera bourgeoise) mais son prolongement en temps de crise ». Je vous laisse apprécier la situation aujourd’hui.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Merci beaucoup. Philippe ?

 

Philippe CONTE, Génération Frexit :

 

Merci beaucoup. Je remercie aussi Jérôme pour avoir organisé cette rencontre. Bon, beaucoup de choses ont déjà été dites et très bien donc je vais essayer de ne pas faire de redites. Je voulais appuyer sur quelques points qui, je pense, méritent d’être précisés.

Tout d’abord, quel est l’inverse de la démocratie ? Pour définir une chose, on a parfois besoin d’une démonstration par l’absurde. L’inverse de la démocratie, c’est la tyrannie. Ce n’est pas la dictature, d’ailleurs, puisque la dictature du prolétariat, elle, devrait avoir une certaine légitimité. La tyrannie se représente par une chose : la distinction totale entre le légal et le légitime. Dans une tyrannie, vous avez des lois, plein de lois. Dans l’Allemagne nazie, vous aviez les lois de Nuremberg. En Afrique du Sud, il y avait un tout un système légal [Apartheid]. Mais il n’y avait pas de légitimité populaire pour les prendre. C’était devenu des régimes qui fonctionnaient on vase clos, avec tout un système juridique très marqué, et même on parlait en Allemagne nazie d’État du droit, c’était quelque chose qui revenait en permanence comme type de preuve. Il y avait un état de droit. Aujourd’hui, vous remarquerez que de plus en plus, dans le discours de nos politiques, on vous parle d’État de droit et non plus de démocratie. Comme on vous parle de vivre-ensemble et non plus de fraternité. Ce n’est pas strictement la même chose, le vivre ensemble et la fraternité. Dans le vivre-ensemble, il n’y a pas de sécurité sociale par exemple, ce n’est pas nécessaire. L’important, c’est pas se taper dessus les uns sur les autres. La fraternité est quand même quelque chose de plus élevé. Quand on vous remplace un concept par un autre, il faut toujours, toujours, se méfier. Là, actuellement [octobre 2022] ce n’est pas la pénurie, c’est la sobriété. [RIRES] Et heureuse ! et souhaitée ! Eh bien posons-nous la question aujourd’hui pourquoi on emploie ce terme État de droit. Et là, en tant que membre du bureau exécutif de génération frexit, je voulais particulièrement appuyer sur les principes européens, où on va toujours vous parler d’Etat de droit et très rarement de démocratie, voire pas du tout. C’est qu’il y a une confiscation des règles par différents comités qui s’éloignent de plus en plus de la souveraineté populaire. A génération frexit, on n’est pas contre le fait d’avoir des représentants et des élus, contrairement à des gens qui veulent une démocratie plus directe, on est très respectueux de ce type de d’idées mais nous on considère que pourquoi pas des élus. A condition que ces élus ont eux-mêmes quelques pouvoirs. Aujourd’hui ils n’en n’ont plus !

Qu’est-ce que la souveraineté ? Je vais citer quelqu’un qui est plutôt considéré comme à droite, mais qui elle-même citait Jean Bodin. La souveraineté, c’est 4 choses et 4 choses seulement. La première, c’est faire ses lois. La seconde, c’est rendre justice. La troisième, c’est battre monnaie. Et la quatrième, c’est décider de la paix de la guerre. C’est Marie-France Garaud qui avait, je pense, très bien résumé la pensée politique de Jean Bodin en une seule phrase. Regardons aujourd’hui.

Faire nos lois. Je vais prendre un exemple simple puisque nous sommes dans Limousin, où je crois il y a eu beaucoup d’actions contre le glyphosate. Je prends cet exemple-là. Eh bien la France, y compris Emmanuel Macron à l’époque en 2017, y compris le gouvernement d’Édouard Philippe, s’était engagée à supprimer le glyphosate dans l’agriculture intensive. Eh bien la position de la France a été minoritaire au Conseil européen et donc le glyphosate continue d’être employé par les agriculteurs. Il a été supprimé, je crois, pour les collectivités locales et pour les particuliers, mais il continue pour les agriculteurs. Là, la position de la France, la position du peuple français, la position sur laquelle, en partie, puisqu’il s’était engagé à cela au moment des élections 2017, Macron avait dit je supprimerai le glyphosate. Résultat des courses : il n’a pas pu le faire. Le voulait-il réellement, c’est une autre question, peut-être était-il hypocrite, mais en tout cas il s’était engagé à le faire et il n’a pas pu le faire. Pourquoi ? Parce que le droit européen n’est pas un droit de coordination, mais un droit de subordination. Un traité international, normalement, c’est un droit de coordination. C’est-à-dire qu’il y a une ou plusieurs personnes, dans un traité, qui décident de dire que sur ce point de vue-là nous serons d’accord et nous décidons d’avoir la même politique. Un traité international. Et puis quand on a n’est plus d’accord alors on dit : « je quitte le traité ». Un traité n’est pas fait pour durer obligatoirement ad vitam aeternam. Or, les traités de l’Union européenne ne sont pas des traités de coordination. Du temps de la Communauté économique européenne, on pouvait encore penser que c’était du droit de coordination. Maintenant, c’est du droit de suborderation. Nous avons, en ce qui concerne nos lois, en l’occurrence celle-ci sur le glyphosate, abandonné la souveraineté à une instance supranationale et la volonté du peuple français est devenue secondaire. Alors on nous laisse bien entendu quelques subsidiarités sur des choses très peu importantes. Mais sur les questions très importantes vous verrez qu’à chaque fois, il va falloir demander l’avis de l’Union européenne.

Rendre justice. Notre justice est liée aujourd’hui à la CJUE et à la CEDH. Qu’on soit pour ou contre. Il y a des gens qui vont dire c’est très bien la CEDH, que ça défend les droits de l’homme. Ca dépend quelle est l’interprétation même de ces droits de l’homme. Et en tout cas ce ne sont pas des cours où les Français ont une majorité, loin de là. Donc par exemple je prends sur des questions de laïcité, nous sommes un jour tout à fait capables de nous voir opposé un droit européen qui soit supérieur au principe – pas constitutionnel exactement mais ils se rapprochent des principes constitutionnels français – de laïcité. C’est tout à fait possible. Et c’était sur une affaire qui s’est passée en Belgique mais qui maintenant est rentrée dans le droit français par-rapport à la laïcité dans des endroits accueillants du public par exemple. C’est une décision européenne, ça n’a pas été une décision française.

Battre monnaie. Je crois qu’il y a pas besoin de comprendre que nous n’avons plus aucune capacité monétaire. D’ailleurs d’ailleurs nous avons par le traité de Maastricht laissé à la Banque centrale européenne un mandat et un seul qui est combattre l’inflation. Je ne sais pas si vous avez remarqué… [RIRES] Il n’y a pas de mandat impératif dans la Constitution française, là, on pourrait imaginer quand même qu’il y ait un mandat, mais non. Donc on a ici une banque centrale qui est non seulement indépendante mais qui est irresponsable, parce que personne ne peut aujourd’hui lui dire : Madame banque centrale, vous avez un mandat, qu’en avez-vous fait ? Donc nous avons là l’exemple même d’une institution non démocratique.

Il reste aujourd’hui malheureusement dans l’actualité le pire : décider de la paix de la guerre. C’est tragique parce que nous pouvons du jour au lendemain – et là ce n’est pas c’est pas une image c’est réel – nous pouvons être du jour au lendemain entraînés dans une guerre dont les Français ne veulent pas. Parce que si on pose la question aux Français est-ce qu’ils veulent rentrer dans une guerre avec la Russie, je pense que la question…

[Une femme dans le public : Je suis prête à déménager, mon fils de 26 ans, il ne fera pas la guerre, je vous le dis]

… Vous avez entièrement raison mais malheureusement, on risque de pas du tout nous poser cette question. Ni même à nos parlementaires ! L’article 35, normalement, devrait pouvoir trancher, mais non ! Vous entendez déjà le président de la République parler de guerre, vous entendez de plus en plus de responsables européens comme Madame Van der Leyen parler de guerre, et finalement on habitue l’opinion publique à entendre ce mot guerre pour pouvoir le présenter comme un état de fait. Là encore, il y a un détournement de la démocratie.

Je vais terminer à propos des référendums. Nous, on est tout à fait pour qu’il y ait des référendums, qu’il y ait des référendums d’initiative populaire. Pas en matière constitutionnelle, à mon avis, parce que c’est un peu compliqué. Si demain, vous avez le peuple qui dit : « nous voulons des lois rétroactives », je pense que c’est pas une bonne idée, voilà. Il y a des principes comme ça auxquels il ne faut pas toucher. Mais que l’on respecte déjà les référendums qui sont là ! On en a parlé mais il y a pas que 2005. Il y a eu deux référendum entre temps, des référendums locaux. Un référendum en Loire-Atlantique sur l’aéroport. Alors, on peut pour on peut être contre, mais il se trouve qu’il y a eu un résultat. Les gens avaient voté pour, et il n’y a pas eu d’aéroport. Il y a eu un autre référendum, c’était sur la fusion des collectivités locales d’Alsace. Les Alsaciens ont dit non. Ils ont fusionné quand même ! J’entendais parler du référendum irlandais, on leur a dit bah vous revoterez jusqu’à ce qu’on ait le bon résultat, ça a été la même chose au Danemark, et il y a eu le référendum grec, il y a eu le référendum hollandais aussi : tous ont été piétinés. Donc là, on peut dire qu’aujourd’hui nous ne sommes pas en démocratie pour toutes ces raisons-là. On va tout à l’heure essayer de voir comment y revenir je crois que c’est dans la troisième partie.

 

Thierry CHARLOIS :

 

D’ailleurs on va y aller maintenant. C’est bien, vous avez abordé tous les sujets : souveraineté, économie… Alors maintenant si on attaque la démocratie idéale, comment est-ce que vous voyez les choses ? Pierre, veux-tu commencer ?

 

Pierre SCHWARZ :

 

Déjà, il faut savoir que démocratie est un terme large. Il existe de nombreuses nuances de la démocratie. Pour la première nuance, je parlerai de la dictature de la majorité, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, quand on parle de choix démocratique, on parle de référendum, on parle de 50,001 % finalement qui décide pour les 49,999 %. Est-ce que c’est ça, la bonne démocratie ? On peut réfléchir et dire que les règles de la démocratie, même si c’est laisser les citoyens s’exprimer, peuvent être différentes. On peut dire qu’il y a un niveau à atteindre qui est de 80 % d’approbation, par exemple, pour passer une loi. Il y a des marges de manoeuvre.

La première chose que je vois, c’est que la démocratie réelle, la démocratie vers laquelle on pourrait tendre si on est pour la démocratie, c’est laisser tout le monde s’exprimer. Mais laissez chacun s’exprimer, tout le monde va vous dire que c’est chronophage. C’est difficile. Tout le monde ne va pas voter toutes les lois tout le temps. Alors en Suisse, ils ont leur système, dans lequel quatre fois par an, ils posent les questions qui ont reçu le plus d’approbation par les citoyens. Pour répondre à cette question du côté chronophage, je crois en la démocratie liquide.

Je sais pas si vous connaissez la démocratie liquide. Comment est-ce que ça fonctionne ? Chacun va choisir un représentant ou une suite de représentants par ordre de préférence. Lorsqu’il y a une question qui est posée, un vote qui arrive à l’Assemblée, les représentants qu’il a choisi peuvent voter dans une première phase. Une fois qu’ils ont voté, on a fini la première phase, le citoyen connaît le vote qui va lui être affecté, par-rapport à la suite de représentants qu’il s’est choisi. Si j’ai choisi on va dire Nicolas Hulot en premier et François Bayrou en deuxième, j’en sais rien, c’est le vote de Nicolas Hulot qui me représenterait. Mais si Nicolas Hulot ne vote pas et que François Bayrou vote, alors c’est le vote de François Bayrou qui me représenterait. Si ce vote-là ne me convient pas, je le recevrai et je dis bah non moi je suis contre, alors que mon repsésentant a voté pour, donc je n’accepte pas le vote de mon représentant et je vote par moi-même. Ce qui permet par rapport à toutes les lois qu’on ne connaît pas mais dont on a confiance dans dans le représentant qu’on a choisi de les laisser vivre et puis un jour, si il y a une loi qui nous touche, et qu’on pense avoir un avis important dessus, on peut toujours voter. Donc on peut dire qu’on a une démocratie réelle parce qu’à tout moment chaque citoyen peut voter, mais de manière générale on peut laisser ses représentants faire le travail. En sachant que pour chaque thème (économie, écologie…) on pourrait choisir une liste de représentants différents. Ca c’est la démocratie liquide. Elle est appliquée dans certains partis comme le Parti Pirate. C’est le premier point.

Ensuite, j’entends les gens qui disent que le peuple n’est pas capable de prendre les bonnes décisions, on va dire qu’ils ne sont pas assez éduqués. Pour pallier à ce système-là, je préconise ce que j’appelle le consensualisme démocratique. C’est-à-dire qu’on va avoir le choix du peuple, la démocratie, mais à côté on peut faire vivre un autre système, et on peut imaginer que les décisions ne sont prises que si les deux systèmes sont en accord.

On peut imaginer un système que j’appelle sapiocratique, qui serait basé sur l’intellect des gens. Une loi passerait s’il y avait au moins 50 % de personnes au niveau démocratique et au niveau sapiocratique on demanderait par exemple 70 %.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Ca veut dire quoi sapiocratique ? Le pouvoir aux experts ?

 

Pierre SCHWARZ :

 

Oui, exactement. Ca veut dire que le vote est pondéré par le niveau intellectuel. Les expert prédominent le vote par un système de pondération.

On peut avoir un système aristocratique, comme aujourd’hui, dans lequel ce sont finalement des élus qui seraient la deuxième chambre et il faudrait quand même une consensualité entre les deux.

De la même façon, la consensualité peut marcher aussi sur des groupes d’individus. On peut imaginer que les hommes et les femmes forment deux groupes démocratiques différents et que les deux doivent être d’accord, c’est-à-dire que les femmes et les hommes doivent être d’accord les deux à 50 % pour ne pas que les hommes puissent imposer, parce qu’ils sont majoritaires, une loi aux femmes qui leur est défavorable. Je pense que dans cette idée de consensualisme, on peut réussir à mettre tout le monde d’accord. Ca, c’est pour le système de vote.

Ensuite, j’en ai parlé tout à l’heure, il y a la séparation des pouvoirs. La première chose, c’est de séparer le pouvoir. Le premier pouvoir, le plus important, c’est le pouvoir constitutionnel. Parce que le pouvoir constitutionnel, c’est celui qui va décider des règles de chacun des autres pouvoirs. Il faut que le peuple détienne ce pouvoir constitutionnel pour au cas où changer les règles des différents pouvoirs. Pour chacun des pouvoirs, je pense que c’est à une réflexion commune de découvrir quelle pourrait être la meilleure forme de système politique pour ce pouvoir, pour fonctionner de la manière la plus efficace possible. Je pense que le premier travail pour avoir une bonne démocratie et encore quand je dis démocratie, ça serait temporairement, ça serait un système bicéphale ou tricéphale selon le nombre de groupes de consensualité qu’on définit.

Voilà, je propose une démocratie liquide, consensuelle, dans un système séparant les pouvoirs avec un type de fonctionnement par pouvoir.

Je n’ai pas de solution précise aujourd’hui à vous apporter, je pense que c’est quelque chose qui doit se réfléchir et qui demande un grand temps de réflexion. Les solutions que j’apporterais c’est vraiment donc le consensualisme, la démocratie liquide.

J’ajouterai un autre point aussi sur la représentation. Je suis contre le fait qu’il y ait des perdants à une élection. Je pense qu’il faut un système qui qui respecte, via une proportionnelle, la diversité des opinions, en particulier dans la représentation. Aujourd’hui, on imagine que la représentation c’est une seule personne. Mais on peut imaginer un conseil représentatif dans chaque mission, qui respecte un peu nos diversité.

De manière générale, quand on envoie une délégation dans un pays étranger, alors déjà je pense qu’il faut choisir les gens en fonction de la mission qu’ils ont à faire, c’est-à-dire que quand on veut représenter la France en Russie, on n’envoie pas forcément la même personne que pour aller au Mexique. Ce n’est pas forcément le président des Français qui doit aller à chaque fois dans chaque pays. Il y a sans doute des personnes qui sont plus adaptées pour ça. D’ailleurs, je rappelle que dans la première Constitution qui est sortie après la Révolution française, il y avait un conseil de 20 ou 24 personnes au lieu d’un président, et il y avait cette idée qu’aucun individu unique ne peut représenter la diversité du peuple français. Je pense que ça s’applique a un peu tout cette idée-là. On a des différences, il faut les respecter et il faut se sentir représenté. Il y a des gens qui ne vont pas se sentir représentés par l’ambassadeur de en Chine. Par contre, si on avait un conseil à plusieurs membres, chacun pourrait se dire : « au moins, j’ai cette personne-là qui me représente. »

 

Thierry CHARLOIS :

 

Merci Pierre. Alfonso, est-ce que tu peux nous parler de ta démocratie idéale ?

 

Alfonso DORADO :

 

J’essaie de reprendre. C’est difficile de restituer ce qui est dit à Decidemos par-rapport à la conception que nous avons du terme démocratie.

[A Fadi] Je voulais revenir rapidement sur ce terme de démocratie. Cette question de la définition et le problème de la novlangue nous tiennent à cœur. Le terme de « démocratie bourgeoise » [repris par Fadi Kassem] pour nous est totalement contradictoire. Il ne fait que jouer le jeu de cette novlangue. Démocratie, c’est le pouvoir du peuple, donc on ne va pas désigner le peuple en qualifiant la démocratie de bourgeoise. Le peuple n’est pas bourgeois. Le peuple est bourgeois et pas bourgeois, il est de droite, il est de gauche, il est de toutes les sensibilités. Il faut bien comprendre ce qu’est la démocratie. C’est un régime politique dans lequel on prend en compte la décision de toute la population. On n’exclut pas les bourgeois. Les bourgeois font partie de la démocratie. Les élites ont le droit aussi de décider. Elles ne seraient pas majoritaires sur certaines affaires, si nous avions un vrai régime démocratique. Qu’on dise plutôt que pour remplacer le mot démocratie bourgeois c’est un régime politique représentatif électoral de nature bourgeoise et oligarchique, je veux bien. Mais attention avec les termes.

[A Pierre] Attention aussi quand on joue sur la question des nuances, quand on dit qu’il y a différents types de démocratie. Il peut y avoir une diversité de modalités, mais le principe, c’est la population décide !

Des fois, c’est très compliqué de l’assumer même en interne. Je l’ai vu même avec des groupes que nous avons rencontré avec Decidemos depuis 2018 parce nous avons été créés un peu avant les gilets jaunes. C’est compliqué ! Quand nous, on l’applique en interne tous les jours, la démocratie, ça signifie qu’il y a des décisions qui sont prises. La démocratie, c’est pas par rapport à une personne c’est par rapport à des idées, c’est par rapport à des questions qu’on va décider tous les jours. Il y a des choses sur lesquelles on n’est pas d’accord. Mais quand tu entres dans un système démocratique, tu acceptes le jeu. Un jour, tu es minoritaire, et un jour tu es majoritaire, mais tu acceptes la décision, de manière mature. Et pas « Ah bon, ça me plaît pas cette décision, ben je sors du jeu ». Alors t’es pas démocrate. Être démocrate, c’est d’abord accepter la décision majoritaire, avec un débat évidemment.

Un débat, on l’a peut-être pas dit assez je crois, un débat éclairé. Il faut du contradictoire. Pour avoir un débat contradictoire éclairé, je reviens sur la question de l’iségorie, il faut que le temps de parole des idées contradictoires soit à égalité. Il faut, en interne, dans les associations, inciter à faire parler la personne qui ne parle pas, autant que celle qui a du charisme. Que tout le monde ait la possibilité de la parole, de véhiculer ses idées et de les confronter.

[A Pierre] L’idée du référendum, oui, c’est le principe de la majorité. Si une idée passe majoritairement, même à 51 % ou 50,1 %, c’est la majorité. Que certaines personnes ne votent pas, c’est autre chose, c’est de leur fait. Cela fait partie de leur exercice démocratique.

Après, on peut avoir des modalités. On appelle ça des modalités. Ce qui rapproche en effet plus du système démocratique, je suis d’accord sur ça, je crois que certains de vous l’ont dit, c’est la Suisse. Même s’il a des défauts, évidemment, surtout au niveau de l’iségorie.

Alors notre slogan à Decidemos, c’est « la population décide ». Pour bien faire comprendre le concept, je vois choisir une image. Parce que c’est pas toujours facile de ne pas dévier de ce concept qui est pourtant basique. Cette image, c’est la maison. Vous avez une population, dans un régime démocratique, qui va construire une maison. La population décide, elle veut une maison avec 4 fenêtres et 5 portes. Voilà, la population a décidé. Par contre, après, pour la mise en oeuvre, quand on va construire la maison, on ne prend pas n’importe qui, évidemment ! On a donc des exécutants. C’est ce qu’on appelle le pouvoir exécutif. Ca devrait être comme ça normalement ! Ces exécutants reçoivent une décision prise par la majorité, une décision qui dit : « voilà, nous voulons une maison comme ça, vous la construisez. C’est vous qui avez les compétences, vous êtes architecte. »

On pourrait prendre aussi l’exemple du bateau. Nous avons un commandant de bateau. On lui dit : « nous on veut aller à tel endroit, tout le monde l’a décidé. C’est la destination laquelle on souhaite arriver. » Très bien, alors on prend quelqu’un qui est compétent pour conduire le bateau, et voilà, il nous amène à destination.

J’essaye de lancer certains exemples pour bien faire comprendre le concept.

Ce que nous appliquons en interne – on essaye en tout cas, parce qu’on n’est pas non plus toujours au top – c’est le respecter des décisions de la population.

Par exemple, à Decidemos, nous avons une assemblée générale permanente, asynchrone. La question du temps est importante. On ne le dit pas souvent, mais on n’a pas le temps. Dans le système actuel, on n’a pas le temps. Il y a le travail, il y a les enfants, on a très peu de temps pour s’occuper des affaires publiques qui nous concernent, les affaires de la cité. C’est pour ça que nous, on pense que le système devrait être asynchrone.

Mais comment avoir une assemblée générale permanente avec tellement de gens ? Peut-être en Grèce, c’était possible, il y avait des milliers de gens, mais c’était quand même bien organisé. Aujourd’hui, nous avons la technologie. Nous, on est en train de mettre en oeuvre une plateforme d’un logiciel pour la votation qui est déjà abouti. On est en train de régler des bugs. Mais des logiciels permettent à tout le monde, à tout l’échantillon de la population, dans ce cas-ci les membres, à prendre des décisions eux-mêmes. Ils ont la possibilité de soumettre des votes, librement. Ces décisions doivent être respectées par le conseil d’Administration qui n’est que un exécutant. Ce n’est pas le conseil d’administration qui décide. Voilà, cette manière de transposer ça dans un régime démocratique, c’est notre notre rêve ou en tout cas c’est ce qu’on promeut.

On peut imaginer deux possibilités pour essayer de transposer ce concept. Ce sont des questions que nous discutons encore en interne.

Soit une Assemblée nationale tirée au sort. Par-rapport au crash test, est-ce que vous avez un régime démocratique, ou pas, avec le tirage au sort ? Il y a pas mal d’expériences qui montrent que le tirage au sort permet une représentation socialogique la plus proche de la population, par la loi des grands nombres, avec un taux d’erreur de 3 ou 5 % selon le type de tirage au sort. La question de la parité est résolue par le tirage au sort, en général on arrive à pratiquement 50 % hommes-femmes. Le tirage au sort permet aussi un système plus apaisé. Il n’y a plus la question des élections, et la question médiatique est résolue. On a la possibilité aussi d’éviter la question des lobbies. On n’est pas totalement garanti d’être à l’abri des influences des lobbies, mais ça offre des possibilités en tout cas de se préserver de ces influences néfastes.

Une deuxième possibilité, qui est beaucoup discutée aussi un interne, c’est l’élection avec mandat impératif. On a des élections par circonscription, des élus, mais avec un mandat impératif et révocable, s’ils ne respectent pas le mandat de leur circonscription. Alors, je fais juste un petit aparté. Il faut savoir qu’en France, le système constitutionnel veut que un élu est élu par sa circonscription mais son mandat est national. Il faut faire cette petite distinction. C’est une idée, évidemment, en respectant toujours la parité. Vous pouvez m’opposer : « oui, mais avec un mandat impératif, on ne peut pas demander à la population d’une circonscription de voter tout le temps et à tout moment, etc ». Là, actuellement, on est capable de mettre en place des systèmes informatiques asynchrone, aussi, pour chaque député, par circonscription, par exemple. Les électeurs peuvent parfaitement aussi choisir quelles sont les questions essentielles sur lesquelles, durant la mandature, ils souhaitent voter et soumettre à leur élu. L’élu doit respecter ça. Alors, moi, personnellement, dans les discussions internes, je dis que l’élu ne devient qu’une sorte de facteur, oui, mais ne devrait-il pas avoir la possibilité d’objection de conscience ? Il y a des questions qui, même s’il reçoit un mandat majoritaire de ses électeurs, s’opposent à des questions de sa propre personne. Je bataille, en interne, pour que cette idée d’objection de conscience soit quand même prise en compte. Et qu’il laisse la place à son suppléant pour toujours respecter ce principe de la majorité et véhiculer cette décision à l’Assemblée nationale.

Donc l’histoire soit du tirage au sort ou du mandat impératif – plutôt « ou » parce que les deux combinés ne vont pas trop ensemble, sinon ça dénature le tirage au sort en tout cas – dans ce système démocratique, ce n’est pas un système qu’on peut trop faire à la carte. Il faut concevoir que vous avez une Assemblée nationale qui décide, vraiment décide. Qui décide sur les questions de la paix ou de la guerre qu’on mentionnait, donc vous récupérez cette souveraineté. Qui décide sur la question de la monnaie, souveraineté qu’on a perdue donc il faudrait se désolidariser ou dénoncer les traités dans ces cas-ci, ce qui semble compliqué actuellement. Et puis vous avez le pouvoir exécutif sur les exécutants. On s’est habitué à ce que les exécutants décident, on leur donne un chèque en blanc pour 5 ans, non, c’est vous qui décidez tout. Il y a un programme que personne n’a lu : c’est la vérité personne ne les lit ou très peu. Voilà donc l’idée. Le concept est complètement renversé. Vous avez une Assemblée nationale, il y a des décisions qui sont adoptées, ces décisions sont exécutées par les exécutants, évidemment les exécutants il faudrait qu’elles soient des personnes compétentes, c’est équivalent à l’architecte ou à la personne qui va piloter le bateau. Comment choisir ces exécutants ? Ca peut être aussi le tirage au sort, au sein de personnes aux compétences préalablement vérifiées.

Il y avait aussi le pouvoir judiciaire, que quelqu’un évoquait. Dans le pouvoir judiciaire, il y a déjà un côté relativement démocratique, mais qu’on risque de perdre. Ce sont les assises. Je vous rappelle que les assises, c’est du tirage au sort des citoyens. Les citoyens tirés au sort font très bien le travail, ils le prennent très au sérieux. Je ne vois pas pourquoi si des citoyens tirés au sort peuvent adopter des décisions qui vont décider le sort d’une personne, pourquoi il ne pourrait pas y avoir le tirage au sort en politique. On a opposé cette idée sur le tirage au sort c’est dangereux parce que les gens sont encore une fois violents et trop cons. Par contre, on a démontré, et vous avez des exemples en Irlande sur la question de l’avortement et de l’homosexualité et en Islande, la Convention citoyenne sur le climat aussi, qui démontrent que, quand le tirage au sort est bien fait et n’est pas biaisé, les décisions et la réflexion du citoyen lambda et bien meilleure que le politique. On n’a pas peut-être dit que la politique n’est pas une carrière. Ca n’existe pas. Vous n’avez pas de Master en politique. Allez à Sciences Po si vous voulez, mais il faut déprofessionnaliser la politique. La politique c’est une question qui nous concerne tous et toutes. Les affaires publiques nous concernent, sinon ce sont les politiciens qui s’occupent de nous. Donc pour revenir au pouvoir judiciaire, nous préconisons que ce système de jury soit élargi. On peut élargir, au lieu des seuls crimes actuellement, pour des délits très graves et pourquoi pas aussi des jurys comme dans le système anglo-saxon en matière civile. S’il y a des réclamations d’une collectivité territoriale ou d’un collectif contre une multinationale pour des dommages de nature civile et environnementale, pourquoi n’y aurait-il pas un jury ? Oui, ça coûte, oui, ça prend du temps. La démocratie c’est comme ça. Ca prend énormément de temps. Comme on le constate dans Decidemos, il y a toutes sortes de sensibilité, d’opinions politiques. C’est difficile d’imaginer une démocratie qui soit positionnée idéologiquement déjà depuis le début. Si on a un système démocratique, ça signifie que la population décide de sa sensibilité politique à un temps t. Un jour, la population sera plus conservatrice, et un autre jour elle sera plus progressiste sur certains sujets. C’est ça, la vraie démocratie. Je m’étais toujours étonné d’un référendum qui avait eu en Suisse, dans les années 70-80. C’était sur la question de réduire le nombre d’heures de travail. Les Suisses avaient refusé. Pourquoi ne pas réduire le nombre d’heures de travail ? Enfin, parce que ça fait partie de leur culture. Il faut savoir le respecter. Il faut avoir suffisamment de recul et comprendre qu’un système politique démocratique politique est neutre et permet le clivage à un certain temps t.

Je voulais faire un aparté sur la question de l’Union européenne, qui est très importante. On va peut-être en parler. Il y a un verrouillage du système. Comment faire ? Parce que le système est assez verrouillé. En effet, il y a eu un transfert de souveraineté vers l’Union européenne, comme on dit, on nous a volé d’une certaine manière cette souveraineté. Sur des questions qui sont basiques : frapper monnaie. C’est très compliqué maintenant de revenir en arrière, pas impossible, mais très compliqué. Et pour les questions régaliennes, ça a été fait par le biais de l’OTAN.

 

Thierry CHARLOIS :

 

Merci Alfonso. On est en retard d’après Jérôme, donc on ne va peut-être pas pouvoir faire la troisième partie. Mais on va finaliser la deuxième. Peut-être va-ton passer la parole à Philippe, qui était le dernier tout à l’heure.

 

Philippe CONTE :

 

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