De façon répétée, les écologistes sont accusés de ne pas être rationnels. Ils seraient des idéologues, opposés au progrès et à la science. Des fanatiques, des utopistes ou des « bobos » sans contact avec la réalité… L’écologie tournerait-elle le dos à l’idéal des Lumières ?
Les racines rationnelles de l’écologie
L’écologie politique s’inspire directement de l’écologie scientifique. Cette science est l’étude des êtres vivants dans leur milieu. L’écologie politique plonge donc ses racines dans la connaissance approfondie de la nature. L’observation rigoureuse de la nature permet la découverte des processus qui la gouvernent.
L’écologie scientifique consiste à constater, de façon factuelle, la dégradation brutale de la nature par un certain nombre d’activités humaines. Dans notre dictionnaire, nous appelons cette situation critique « singularité écologique ». A partir de ce constat, il s’agit pour l’écologie politique de déduire un programme politique proportionné, c’est-à-dire ensemble de décisions et de lois nouvelles qui participeraient à résoudre cette crise.
Par exemple, la lutte pour la préservation d’un climat stable s’appuie sur une vaste littérature scientifique, et en particulier sur les rapports du GIEC, soigneusement rédigés. Le message principal des écologistes est d’écouter les scientifiques. La recommandation qui émerge de façon centrale – laisser les énergies fossiles dans le sous-sol – est fondée en raison.
« Vous avez le devoir d’écouter les scientifiques »
Greta Thunberg, jeune militante climat suédoise, s’adressant à la représentation nationale française
Observer et comprendre la crise pour la résoudre. Cette démarche générale est rationnelle et ancrée dans le réel. Bien sûr, il est possible que certains groupes écologistes ou partis écologistes fassent des propositions incomplètes, contradictoires ou décalées. Il y a aussi des mouvances sensibles à l’ésotérisme, ou ce que l’on pourrait appeler une écologie romantique ou « New age ». Cependant, il reste que l’écologie politique est fille d’une science. Elle en garde des traits essentiels en proposant aux groupes humains de nouvelles façons d’organiser leurs relations avec la nature sur la base d’observations factuelles et de raisonnements logiques.
La critique du progrès est-elle scientifique ?
Il faut l’affirmer haut et fort : il y a une opposition écologiste rationnelle et scientifique au progrès. Nous définissons ici le progrès comme perfectionnement général des connaissances, des techniques, des organisations et des machines.
D’une part, le progrès n’est pas purement cumulatif et unilinéaire. Le récit d’un progrès linéaire qui irait nécessairement dans une direction fixe vers le bien commun est fictif. Le progrès est un buissonnement. Ses développements sont orientés par d’autres considérations que le bonheur social.
En particulier, les grandes entreprises en régime capitaliste sont motivées par la volonté de réaliser du profit et d’accumuler des moyens d’agir. On sait par exemple que des affections chroniques qui touchent durement des populations peu solvables font l’objet de peu de recherche médicale. A l’opposé, des soins comme la chirurgie esthétique ou les crèmes anti-âge attirent les capitaux. Ces soins sont moins essentiels, mais ils se destinent à des populations à fort pouvoir d’achat.
De plus, l’histoire du 20ème siècle a montré que le progrès, la raison et le calcul, utilisés avec une morale défaillante, conduisait au pire. Le génocide juif de la Shoah par l’Allemagne nazie en est l’exemple ineffaçable.
Il y a donc une tension entre progrès et bien commun.
Des questions morales
Comment juger, par exemple, de l’introduction de cadavres animaux broyés (cochons, poules, poisson) dans l’alimentation des animaux d’élevage ? Ceci est en effet autorisé par un règlement de la Commission européenne daté du 16 janvier 2013. L’affaire de la vache folle nous informe pourtant sur les dangers potentiels de telles pratiques. Faut-il réellement maximiser les taux de farines animales que mangent les animaux que nous mangeons ?
De même, les publicitaires doivent-ils comprendre toujours mieux le fonctionnement de notre cerveau ? Est-il dans l’intérêt général qu’ils cherchent des techniques toujours plus efficaces d’implanter des messages dans nos esprits ?
Ces questions sont malheureusement quasi-absentes du débat public et des médias, qui préfèrent l’actualité immédiate aux questions de fond.
Pour le profit ou pour le bonheur général ?
La plupart des acteurs économique cherchent à baisser leurs coûts de production en vue d’augmenter les profits. Dans la perspective étroite de la science économique, c’est une bonne chose : ils innovent. Pourtant les progrès réalisés par ces processus conduisent à exercer en permanence une pression considérable à la baisse sur les règlementations écologiques et sociales, qui sont de fait des entraves au profit. De plus, la baisse unitaire du prix d’un produit conduit en général à sa production en masse (c’est l’effet rebond).
Ensuite, une facette centrale du progrès est d’exploiter la nature avec plus d’efficacité. Dans cette perspective, la raison est un instrument d’optimisation de l’exploitation de la nature. Comment juger le progrès s’il consiste à trouver des moyens toujours plus efficaces de raser les forêts, de creuser la terre, de vider les océans de leur poisson et d’extraire le pétrole ? Le perfectionnement des machines qui contribuent à détruire la vie sur Terre peut-il être qualifié de progrès ?
il ne s’agit pas ici de nier les aspects positifs du progrès. Nous ne rejetons pas le progrès en bloc. Nous reconnaissons que les progrès de la médecine peuvent allonger notre espérance de vie en bonne santé, ou encore que l’innovation technologique a produit des inventions qui participent à l’amélioration de la qualité de vie. Seulement, un tri doit être opéré entre les progrès qui contribuent au bonheur commun et ceux qui lui nuisent. Le perfectionnement général des connaissances, des techniques, des machines est potentiellement nocif. Aussi, ses applications concrètes doivent faire l’objet d’une discrimination démocratique fondée sur la morale. Nous devons orienter le progrès pour en limiter les nuisances.
Insistons sur un point : la situation de départ est dramatique. Le progrès technique de ces dernières décennies s’accompagne d’une prolifération non-régulée de machines, y compris de machines climaticides. Prélèvements excessifs de ressources, cycles biogéochimiques ouverts, réchauffement climatique, complexification de l’économie provoquant des fragilités systémiques… Les effets négatifs d’une économie fortement développée avec une régulation défaillante sont documentés et d’une exceptionnelle gravité.
L’écologie comme prolongement des Lumières
Notre écologisme est un prolongement du mouvement des Lumières. Nous reprenons ici l’analyse de la philosophe Corine Pelluchon en revendiquant de Nouvelles Lumières.
L’esprit des Lumières consiste à critiquer le présent en s’appuyant sur 4 piliers :
1. L’autonomie et l’idée que l’on peut prendre en main son destin (contre le fatalisme)
2. Le projet de fonder une société d’égaux en démocratie (contre les privilèges et la théocratie)
3. L’unité du genre humain et les droits de l’homme (contre le nationalisme et le racisme)
4. La rationalité (contre la haine de la raison)
L’écologie ne s’oppose pas à la raison ni à l’héritage des Lumières. Au contraire, elle prolonge et dépasse cet héritage. Une authentique écologie corrige les fondements des Lumières. En particulier, on doit revenir sur la fausse séparation de l’humanité et de la nature et destituer le principe de la domination sur la nature. Il faut rappeler notre dimension charnelle – nous sommes des corps, des animaux humains. Nous devons retrouver l’idée d’une humanité encastrée dans une communauté de vivants. Malgré la technologie, nous dépendons étroitement et indépassablement des autres humains, bien sûr, mais aussi de la nature, des animaux, des plantes, des terres arables ou de l’eau douce.
Les Nouvelles Lumières de Corine Pelluchon reposent sur notre condition terrestre, sur le fait qu’il y a une seule planète, une seule humanité, avec une diversité des formes de vie et de cultures. En ce sens, l’écologie désigne la sagesse qui nous aide à habiter la Terre sans lui nuire.
Des droits nouveaux
Il est notre devoir d’étendre les droits naturels inventés pendant le siècle des Lumières. Liberté, égalité et fraternité sont éternellement d’actualité. Mais nous devons nous donner des droits supplémentaires. Bénéficier d’une planète habitable, d’un climat stable et vierge de toute expérimentation à grande échelle, d’une biodiversité protégée. Et ne faudrait-il pas inscrire des droits pour les générations qui nous succéderont ? Pour ces raisons, l’humanité doit accepter de fixer des limites raisonnables à ses activités économiques.
Nous pouvons aussi créer des droits naturels à la nature. L’humanité peut offrir à la nature une personnalité juridique et des droits afférents. La Loire, par exemple, ne pourrait-elle pas devenir une personne juridique ? Le droit doit aussi protéger davantage les animaux.
Plutôt que d’être les maîtres et possesseurs de la nature, nous proposons d’en être les gardiens et protecteurs. De notre point de vue, cette démarche est fondée rationnellement, avec un raison renforcée par la morale. Ainsi nous sauvegarderons un patrimoine infiniment précieux : la beauté et l’habitabilité de notre seule monde.
Conclusion
Notre écologie est une écologie de la raison. Lorsque c’est possible, nous appuyons notre discours sur des bases factuelles. Nous utilisons des chiffres objectifs, des arguments construits, des études scientifiques. Nos positions se fondent sur des bases étayées. Nous rejetons la superstition et tout esprit sectaire.
La protection de la nature est rationnelle. Les atteintes portées à la nature sont réelles et bien documentées. Nous n’avons qu’une planète disponible. Il est rationnel d’être prudent dans la modification de la composition chimique de l’atmosphère, la dissémination de molécules nouvelles, l’exploitation intense des terres arables… La disponibilité limitée de ressources appelle un bouleversement de l’économie. Les multiples projets de décroissance font sens.
Sans rejeter ni la technologie, ni le progrès des connaissances, nous sommes méfiants des améliorations techniques et de l’innovation. Les perfectionnements de machines ne sont pas toujours, loin s’en faut, des avancées pour le bonheur social. C’est pourquoi la démocratie doit avoir un droit de regard sur l’évolution technologique.
Notre écologisme veut représenter les Nouvelles Lumières. L’humanité aurait avantage à se donner la mission noble et immense de réparer le monde. Si nous pouvons contribuer à ce projet, même de façon minuscule, cela fera notre joie.