Les électeurs français ont porté Marine Le Pen et Emmanuel Macron au second tour. On en prend acte. C’est la « gueule de bois démocratique », selon l’expression de l’éditorialiste Alexis Poulin.
L’enjeu est lourd, il en va du destin de la France pour 5 ans, et peut-être bien davantage. Ainsi que le rappelle l’économiste David Cayla, « ce qu’il va se passer dans les prochains jours va être déterminant pour les vies de nombreuses personnes et qu’on ferait mieux de prendre cette campagne de second tour avec gravité et sérieux. »
Avant le 1er tour, nous, Écologie & Démocratie, avions exprimé avec clarté qu’il ne fallait voter pour aucun des deux, en prenant nos deux critères fondamentaux que sont l’écologie et la démocratie. Il est donc entendu qu’aucun de ces deux candidats n’est le nôtre. Mais maintenant que les deux candidats sont là et qu’il faut voter, y a-t-il un candidat pire que l’autre ? Un candidat si nuisible qu’il faudrait lui faire barrage et l’éliminer en priorité ?
Votre liberté
D’abord, faut-il le rappeler, vous avez le droit de voter et le droit de ne pas aller voter, comme l’ami Clément Caudron. Vous pouvez voter pour l’un, pour l’autre ou voter blanc ou voter nul. Et si le débat est ouvert, personne n’a le droit d’exercer sur vous des pressions déraisonnables pour faire changer votre vote. Vous êtes libre.
De plus, les lignes politiques bougent. Ce n’est pas parce que votre voisin ne comprend pas votre raisonnement politique que votre façon d’aborder la question n’est pas pertinente.
Barrage contre barrage
Ceci étant posé, dans quel sens exercer votre liberté ?
Certains appellent au barrage contre l’extrême-droite et le fascisme, comme il y a 5 ans. Et comme en 2002, lorsque les citoyens de gauche ont mis une pince à linge sur le nez ou des gants sur les mains pour voter Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen. C’est par exemple le cas d’Attac ou du candidat EELV Yannick Jadot, qui appellent sans condition à voter Macron.
Pour eux, le danger fasciste est réel. Ils invoquent une loi historique selon laquelle une fois au pouvoir, l’extrême-droite ne se laisse plus déloger. En effet, l’idée est terrifiante.
Aussi, et surtout si l’on est une jeune femme, maghrébine et musulmane, voter Macron est-il un vote pour souffrir le moins possible.
Certains posent néanmoins quelques exigences pour voter Macron. Pour l’avocat gilet jaune François Boulo ou l’universitaire Dominique Méda, la balle est dans le camp du sortant, qui doit donner les gages d’une orientation nouvelle pour son second mandat, qu’il s’agisse d’écologie ou de justice sociale.
Si Emmanuel Macron veut que ceux qui ont voté pour la gauche et les écologistes votent pour lui il doit renoncer à certaines mesures (retraite a 65 ans; contreparties au RSA) et en annoncer d’autres (RIC délibératif ; mesures climat ambitieuses…). Un peu à l’Allemande.
Dominique Méda, sur les réseaux sociaux
Durant l’entre deux tours, Emmanuel Macron a effectivement chapardé le vocabulaire de la gauche écologiste. Il envisage une « planification écologique » (thème cher à Jean-Luc Mélenchon) pour un meilleur « avenir en commun » (nom du programme de l’Union populaire). Cependant, le président n’a-t-il pas trop menti pour paraître sincère ?
Le nouveau barrage : tout sauf Macron
D’autres, tirant les conséquences du détestable quinquennat Macron, appellent à voter contre lui. C’est le cas par exemple de Charles-Henri Gallois, du mouvement Génération Frexit. Le député LR Julien Aubert donne « 100 raisons de ne pas voter Macron ». Le barrage contre un candidat centriste (mais qu’il faut bien qualifier d’extrême-centre) est une nouveauté.
Le promoteur du frexit François Asselineau, le gilet jaune Oliv’ Oliv’, l’ancien communiste Régis de Castelnau, le club gaulliste Penser la France et l’ancien animateur du Média Jacques Cotta sont plus clairs et expliquent leur vote Le Pen.
Force est de constater qu’ils ont des arguments, tant Emmanuel Macron est dangereux pour les Français. Tant il veut mettre à sac le modèle social issu après-guerre du Conseil National de la Résistance. Il reste cependant qu’ils font un « pari historique ». Le pari, évidemment risqué, que Marine Le Pen ferait moins pire.
Quant au youtubeur Trouble Fait, selon lui il faut tout cramer et repartir sur des bases saines… En sommes-nous déjà là ?
Écologie
Revenons à nos fondamentaux : l’écologie et la démocratie.
Le président Macron a fait la démonstration de sa déficience écologique et de son hypocrisie. Son bilan est pitoyable. Il a sabordé la Convention citoyenne sur le climat, il a transféré au niveau européen la possible règlementation des pesticides, et il se contente dans son programme de vagues promesses pour dans trente ans. Il se satisfait de la poursuite de la mondialisation folle.
Quant à Marine Le Pen, peu d’observateurs sont entrés dans le détail de son programme écologique. Marine Le Pen prétend « faire de l’écologie un des leviers du renouveau national. » Elle a publié un livret de 18 pages. Le député européen Hervé Juvin, a-t-elle annoncé, sera son ministre de l’écologie.
Marine Le Pen défend une idée intéressante et finalement démocratique : une transition écologique qui avance au rythme de son acceptation par les citoyens. A rebours de cette écologie punitive que dénonce Nicolas Martin.
Comme nous, Marine Le Pen entend s’opposer au système du libre-échange et à la course au moins-disant de la globalisation. Elle évoque souvent le « mondialisme » comme un de nos problèmes majeurs et lui oppose une politique de relocalisation, qu’elle appelle « localisme ».
Marine Le Pen n’est pas nulle sur l’écologie. Ceux qui la critiquent semblent ne pas avoir eu le souci de comprendre son programme ou de lire Hervé Juvin. Mais même en l’écoutant attentivement, on ne peut que trouver cela pauvre. Et si Marine Le Pen se défend d’être climatosceptique, le climat est une préoccupation secondaire pour une bonne part de son électorat, et cela se ressent.
Les deux candidats sont pro-nucléaires et ont en commun de négliger les politiques de sobriété, si cruciales pourtant. Malheureusement, la sortie des énergies fossiles, qui est l’enjeu climat n°1, a été absente du débat de l’entre-deux-tours.
Démocratie
En matière de démocratie, Marine Le Pen a quelques mérites. Elle a commencé une de ses conférences de presse par un intéressant monologue sur l’insuffisance démocratique de la France. Elle défend le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui nous est cher et qui est cher aux gilets jaunes. Malheureusement, malgré l’appel auquel nous avons participé, il s’agit chez elle du petit RIC, et pas du grand RIC. En effet, les citoyens n’auraient toujours pas accès à la Constitution. Le politologue Raul Magni-Berton en a fait l’analyse pour le média QG.
Marine Le Pen défend aussi l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle. Là encore, ce serait une bonne chose.
Mais comment se réjouir quand le modèle de Marine Le Pen, à l’international, est la démocratie « illibérale » de Viktor Orban épinglée par la journaliste de Mediapart Amélie Poinssot ?
Quant à Emmanuel Macron, il a montré son mépris pour la démocratie. Rappelez-vous, pour ne citer qu’un exemple, comment Emmanuel Macron a organisé un « grand débat » pour se sortir de la crise des gilets jaunes. Des cahiers de doléances ont été remplis par les citoyens français, et Emmanuel Macron les a mis aussitôt à la poubelle…
Justice sociale
Au-delà de la démocratie et de l’écologie, il y a la question de la justice sociale. Ici, nous constatons que le programme de Marine Le Pen, si l’on veut bien croire à sa sincérité, a une longueur d’avance.
Avec la retraite à 62 ans, la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité (incluant malheureusement les carburants fossiles), Marine Le Pen montre sa préoccupation pour le sort des classes populaires.
Emmanuel Macron, qui a mutilé les gilets jaunes et qui a restreint le droit de manifester, est de façon évidente le candidat des grands propriétaires de capitaux contre le peuple.
Les propositions de Marine Le Pen sont donc plus proches de nos considérations sociales. Mais à une condition qui ne peut être passée sous silence : faire abstraction du sort fait aux non-Français.
Conclusion
On peut voter Macron si l’on craint les bruits de botte. On peut voter Le Pen si l’on craint l’éborgneur antisocial et autoritaire.
S’il y a une nuance à apporter, c’est que le vote Le Pen est un vote contre le néolibéralisme et la mondialisation. Aussi c’est voter dans l’intérêt des classes laborieuses, étrangers exceptés. Autrement dit, voter Le Pen, c’est se ranger du côté des ouvriers et des déclassés de la mondialisation. Comme un vote de solidarité de classe. Comme le dit Régis de Castelnau, c’est « suivre le peuple jusqu’au bout ».
Pour ma part, cet argument est loin de suffire. Je veux faire barrage à Le Pen, je veux faire barrage à Macron. Je parle ici en mon nom seul, je voterai blanc dimanche. Vote blanc qui doit être reconnu.
Ni extrême-droite, ni extrême-centre.
Ni Macron, ni Le Pen, nous méritons mieux.
Jérôme YANEZ
président de Écologie & Démocratie