Paule Bénit est ingénieure de recherche en biochimie et biologie cellulaire à l’INSERM (1). Avec une équipe de chercheurs, elle a découvert l’existence de pesticides nocifs appelés SDHI. Elle a lancé l’alerte dès 2017 par téléphone auprès de l’ANSES (2), puis, en l’absence de réaction, elle a publié une tribune collective dans le journal Libération en 2018.
1) Bonjour Paule Bénit, qu’avez-vous découvert à propos des SDHI ?
Les SDHI sont des pesticides utilisés à grande échelle dans l’agriculture, que ce soit sur le blé, les arbres fruitiers, les tomates, les pommes de terre ou encore les pelouses des terrains de sport. Le mode d’action des SDHI est connu des scientifiques depuis les années 1970. Les SDHI agissent sur une enzyme (3) indispensable à la respiration cellulaire. Cette enzyme est présente dans quasiment tous les organismes vivants. Les scientifiques dénoncent l’utilisation des SDHI comme toxique pour tous les êtres vivants, y compris les humains, et pas seulement sur les moisissures qu’ils sont supposés éliminer. Avec Pierre Rustin, chercheur au CNRS (4), nous nous sommes rendus compte de leur utilisation massive, au point qu’on en trouve désormais partout dans la terre, dans l’eau, dans l’air et dans notre alimentation.
2) Les autorités ont-elles rapidement retiré les SDHI du marché ?
Nous demandons depuis plus de 4 ans l’application du principe de précaution mais notre agence de sécurité sanitaire française, l’ANSES, ne juge pas urgent ni leur retrait du marché ni l’application du principe de précaution. Alors que c’est demandé par maintenant plus de 450 scientifiques ! Heureusement, notre audition récente au parlement européen vient de permettre la reconnaissance de manquements dans les tests ayant conduit à l’autorisation des SDHI. Deux de ces pesticides vont être retirés du marché dès cette année.
3) L’ANSES devrait nous protéger, non ? Pouvez-vous nous expliquer ?
Cette agence publique doit évaluer le rapport bénéfice/risques de ces produits, ainsi que protéger la biodiversité et la santé humaine. Mais ici, l’ANSES n’a pas joué son rôle de protection, ni pour l’homme, ni pour l’environnement. Comment voulez-vous qu’après avoir autorisé la mise sur le marché des SDHI, les mêmes personnes admettent que leur décision puisse participer à la perte de la biodiversité ? Et participer à l’apparition de maladies neurologiques comme Alzheimer ou Parkinson ? Nous menons un bras de fer avec l’ANSES depuis 4 ans. Pour les détails, on peut lire le livre de Fabrice Nicolino.
Le crime est presque parfait, de Fabrice Nicolino, Les liens qui libèrent, 20 €
4) Que donnent les derniers travaux de recherche sur les effets des SDHI ?
Notre Alerte a permis de faire connaître l’existence des SDHI et ainsi de susciter l’intérêt des scientifiques pour les SDHI. Elle a aussi ouvert la possibilité d’avoir des financements tant recherchés pour faire fonctionner les laboratoires. Argent attribué par l’ANSES, faisant apparaître l’ombre des conflits d’intérêt ! Désormais, de nombreux articles rapportent les effets néfastes des SDHI sur un nombre croissant d’organismes à des doses très faibles. Cela confirme nos inquiétudes. On peut maintenant s’interroger sur l’intérêt de continuer à explorer la toxicité des SDHI sur encore plus d’organismes alors que le mode d’action est établi. Sauf à vouloir gagner du temps pour faire traîner leur interdiction…
5) Désormais, êtes-vous scientifique ou militante ?
Je suis avant tout une scientifique, mais je suis aussi une citoyenne responsable. Je mets à profit mes connaissances pour défendre la biodiversité et la santé.
Merci Paule !
Pour aller plus loin :
Le site internet d’information sur les SDHI « End SDHI » : http://endsdhi.com
L’audition mardi 15 mars à la commission du parlement Européen de la pétition Pollinis sur les dangers des SDHI, accessible ici (en anglais)
La vie au temps des pesticides, une émission de France Inter
Le crime est presque parfait, de Fabrice Nicolino, Les liens qui libèrent, 20 €
(1) INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale
(2) ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(3) Une enzyme est une substance de l’organisme qui déclenche ou catalyse une réaction biochimique.
(4) CNRS : Centre national de la recherche scientifique
Crédit photo : capture d’écran, audition au sénat, 23 janvier 2020