Pour George Monbiot, « tout réduire est la seule voie »

30/09/2021

George Monbiot est journaliste et éditorialiste au Guardian, un grand journal anglais très impliqué dans les questions écologiques. Dans cet article dont nous publions des extraits, George Monbiot plaide pour une vision d’ensemble des problèmes écologiques et conclut en faveur d’une diminution de l’intensité de l’économie.

 

La « croissance verte » n’existe pas – tout réduire est le seul moyen d’éviter la catastrophe

 

Georges Monbiot, le 29 septembre 2021

 

Il n’est tout simplement pas possible de continuer au niveau actuel d’activité économique sans détruire l’environnement

Il y a une boîte avec une étiquette « climat », dans laquelle les politiques discutent de la crise climatique. Il y a une boîte « biodiversité », dans laquelle ils évoquent la crise de la biodiversité. Il existe d’autres boîtes, telles que la pollution, la déforestation, la surpêche et la perte des sols, qui ramassent la poussière derrière le guichet des objets trouvés de notre planète. Mais ils contiennent tous des aspects d’une crise que nous avons segmentée pour la rendre compréhensible. (…)

 

Chaque source de pression aggrave les autres

La nature ne fait pas de telles distinctions. Puisque les systèmes terrestres sont assaillis par tout à la fois, chaque source de pression aggrave les autres.

Prenons la situation de la baleine noire de l’Atlantique Nord (…) : il reste moins de 95 femelles en âge de se reproduire. Les raisons immédiates de ce déclin sont principalement les décès et blessures causés lorsque les baleines sont heurtées par des navires ou emmêlées dans des filets de pêche. Mais ces baleines sont devenues plus vulnérables à ces impacts parce qu’elles ont dû migrer le long de la côte est de l’Amérique du Nord dans des eaux très fréquentées par ces bateaux.

Leur proie principale, un petit crustacé nageur appelé Calanus finmarchicus, se déplace vers le nord au rythme de 8 km par an, car la mer se réchauffe. Dans le même temps, une pêche commerciale s’est développée, exploitant Calanus pour des suppléments d’huile de poisson que l’on croyait à tort bénéfiques pour notre santé. Il n’y a eu aucune tentative d’évaluer les impacts probables de la pêche de Calanus. Nous n’avons aucune idée non plus de l’impact de l’acidification des océans – également causée par l’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone – sur cette espèce et de nombreuses autres espèces cruciales.

À mesure que le taux de mortalité des baleines noires de l’Atlantique Nord augmente, leur taux de natalité diminue. Pourquoi ? Peut-être à cause des polluants qui s’accumulent dans leur corps, dont certains sont susceptibles de réduire la fertilité . Ou à cause du bruit de l’océan provenant des moteurs de bateaux, du sonar et de l’exploration pétrolière et gazière, qui peut les stresser et perturber leur communication . On pourrait donc appeler le déclin de la baleine noire de l’Atlantique Nord une crise du transport maritime, ou une crise de la pêche, ou une crise climatique, ou une crise d’acidification, ou une crise de pollution, ou une crise du bruit. Mais c’est en fait toutes ces choses : une crise générale causée par l’activité humaine. (…)

 

Un assaut à spectre complet contre le monde vivant

Les impacts combinés dévastent des systèmes vivants entiers. Lorsque les récifs coralliens sont fragilisés par l’industrie de la pêche, la pollution et le blanchissement provoqués par le réchauffement climatique , ils résistent moins bien aux événements climatiques extrêmes , tels que les cyclones tropicaux, que nos émissions de combustibles fossiles ont également intensifiés.

Lorsque les forêts tropicales sont fragmentées par la coupe de bois et l’élevage de bétail, et ravagées par des maladies des arbres importées, elles deviennent plus vulnérables aux sécheresses et aux incendies causés par la dégradation du climat.

Que verrions-nous si nous brisions nos barrières conceptuelles ? Nous verrions un assaut à spectre complet contre le monde vivant. Aucun endroit n’est désormais à l’abri de cet assaut soutenu. (…)

Les divers impacts ont une cause commune : le volume même de l’activité économique. Nous faisons trop de presque tout, et les systèmes vivants du monde ne peuvent pas le supporter. Mais notre incapacité à voir l’ensemble garantit que nous ne parvenons pas à résoudre cette crise de manière systémique et efficace.

Lorsque nous essayons de remédier à cette situation, nos efforts pour résoudre tel aspect de la crise en exacerbent un autre. Par exemple, si nous devions construire suffisamment de machines de capture du carbone de l’air, cela exigerait une nouvelle demande massive d’extraction et de traitement de l’acier et du béton. L’impact de cette demande se propagerait dans le monde entier. Pour ne prendre qu’un seul élément, l’extraction de sable pour fabriquer du béton détruit des centaines d’habitats précieux. C’est particulièrement dévastateur pour les rivières, dont le sable est très recherché dans la construction. Les rivières sont déjà touchées par la sécheresse, la disparition de la glace et de la neige des montagnes, notre extraction d’eau et la pollution provenant de l’agriculture, des eaux usées et de l’industrie. Le dragage de sable, en plus de ces agressions, pourrait être un coup fatal.

Ou regardez les matériaux nécessaires à la révolution électronique (…). Déjà, l’extraction et le traitement des minéraux nécessaires aux aimants et aux batteries dévastent les habitats et provoquent de nouvelles crises de pollution.  (…)

 

Pour maintenir nos systèmes de survie, faire moins de presque tout

Partout, les gouvernements cherchent à augmenter la charge économique, parlant de « libérer notre potentiel » et de « stimuler notre économie » (…) Mais la croissance verte n’existe pas. La croissance efface le vert de la Terre.

Nous n’avons aucun espoir de sortir de cette crise à spectre complet si nous ne réduisons pas considérablement l’activité économique. La richesse doit être distribuée – un monde contraint ne peut pas se permettre les riches – mais elle doit également être réduite. Maintenir nos systèmes de survie signifie faire moins de presque tout. Mais cette notion – qui devrait être au cœur d’une nouvelle éthique environnementale – est un blasphème séculaire.

 

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